Saagar
Je n’avais pas vu ma grande amie Saagar depuis 5 ans peut-être même 6. Elle revenait à peine de Chine avec escale à Dubaï afin d’alimenter son tout nouveau magasin. Elle vend des meubles, des tissus, des coussins, des lampes… le tout dans le style le plus kitch que l’on peut trouver sur terre. Plus ça brille, mieux c’est ! Elle a le sens du commerce de proximité : meublez votre intérieur chez Saagar et vos voisins verront combien vous n’êtes pas dans le besoin ! Chez elle, c’est grand, c’est beau, c’est propre, c’est décoré avec soin et, avec ce que nous appelons chez nous, mauvais goût.
J’aime cette femme ! Je l’aime tant, qu’après 5 ans sans la voir, je la suis partout. Je la touche sans cesse, je me perds dans ses pagnes moelleux, je ne peux me décoller d’elle. Saagar est une fleur odorante et je me fais abeille.
Mariée à 14 ans, suite à un arrangement familial, avec un homme vertueux et pieux qu’elle partage avec deux autres femmes, sa première fille naît alors qu’elle n’a que 15 ans. Viendront deux autres filles à 7 ans d’intervalle. Elle adopte également le fils de sa co-épouse quand il a 3 ans. Elle n’est jamais allée à l’école mais elle a du bon sens et de l’instinct. Saagar est une commerçante redoutable. Bamba, son mari, a eu le bon sens d’accepter qu’elle travaille et c’est ce qu’elle fait, très bien, au plus grand bonheur de son époux polygame. Saagar part en voyage et rapporte des containers entiers de matériels qu’elle vend au Sénégal. Elle est riche et sans le savoir, c’est une féministe !
Oui, Saagar, avec qui j’échange dans une langue entre le français, l’anglais, le Wolof, la langue des signes et le langage corporel, a une grande estime de la capacité des femmes à diriger le monde. Un homme est un homme et elle est une femme musulmane, qui connaît les règles et les respecte, mais tout de même, selon elles, les femmes ont un rôle à jouer dans la société et pas des moindres.
C’est pour ça qu’elle a envoyé toutes ces filles à l’école jusqu’au BAC, et jusqu’à l’université pour la dernière qu’elle a envoyée dans une université canadienne alors qu’elle n’était même pas encore mariée. Elle ne les a pas fait exciser, non plus. Elle s’est opposée au mariage arrangé (forcé?) de sa première fille Leila avec un homme dont elle ne voulait pas. Elle a choisi pour son fils une femme dont elle pensait qu’elle aurait de l’avenir et du caractère. Elle s’est trompée sur ce coup là et vous saurez pourquoi dans un prochain épisode.
À mon arrivée sur place, je découvre qu’en 5 ans la maison s’est élevée de 2 étages et s’est munie d’une cuisine équipée dernier cri. Heureusement, il y a toujours une terrasse avec vue sur les 3 mosquées qui l’entourent et les rouleaux de l’océan au loin. Terrasse où vivent deux moutons sympathiques et des tonnes de chats effrayés. Mes repères ne sont pas tout à fait perdus.
Nos retrouvailles sont teintées de quelques larmes et de beaucoup de tendresse. Nous sommes heureuses de nous voir. Nous échangeons sur mon mariage raté et elle s’accorde sur le fait que Sidath est un imbécile et un traître. Oui Saagar, tu dois avoir raison. Elle m’avise que la maison est presque vide pour le moment. Effectivement en comptant bien sur mes doigts il n’y a que 5 personnes. C’est peu pour cette maison Sénégalaise à la porte ouverte en permanence.
La bonne Kingsé s’affaire sans cesse autour de moi et de Gora. Il est mignon mon fils. Il est bien élevé et il a un gros avantage il a une mère française.
Nous allons manger du poisson Yassa et je m’en réjouis. Kingsé dresse la table sous forme d’un double pagne au sol dans le passage du salon mais voilà qu’arrive à l’improviste, je crois, une femme âgée, une beauté tout en maquillage et boubou coloré et trois hommes qui nous saluent de Namasté, Namasté, Namasté appuyés. Les relations du commerce sud-sud sont en marche à Dakar. J’en profite pour glaner une tonne d’information. Ils ont une usine de fabrication de cuisine à Delhi avec 3000 employés et ils ont des succursales à Bamako, à Dubaï et vont en ouvrir une à Dakar entre les mains expertes de Saagar.
Les négociations commencent. Il faut signer un contrat. Pourquoi maintenant, aucune idée mais c’est comme ça et c’est sur la table basse de l’espace familial chez Saagar que ça se passe. Le chef des indiens claque des doigts en direction de la beauté. Saagar lui dit doucement qu’il ne faut pas faire ça à sa femme sinon un jour elle partira. J’en ajoute immédiatement une couche avec un grand sourire de pardon. Pourtant la beauté n’a pas l’air embarrassée. Elle est la compagne d’un homme riche et c’est elle qui rédige les contrats. Son pouvoir lui suffit, on dirait. Mais le contrat devra attendre. Il est 14h et les 3 mosquées se mettent à appeler les fidèles pour la grande prière du vendredi. C’est un canon de muezzins plus ou moins enchanteurs. Je me laisse porter par les chants, tout en les enregistrant pour faire partager par WhatsApp à certain qui en sont privés à Paris.
Alors que je suis paisiblement assise à l’écart, Mama la plus jeune des filles de Saagar m’amène faire les ablutions et me couvre des pieds à la tête. Je vais prier avec les femmes. Je n’ai pas trop le choix, mais ça me va. Je m’applique tant que faire se peut et j’appelle avec toutes mes petites forces le signe d’une présence divine qui finalement me ferait croire en Dieu. Rien n’arrive comme toujours. Après tout, l’athéisme me va bien aussi.
Au sortir de la salle de prière installée pour l’occasion dans le second salon, Mame Diara, la seconde fille de Saagar est arrivée et nous pouvons manger assis toutes ensembles Saagar, Mama, Mame Diara, Kingsé et Absa. Les enfants mangent ailleurs, Bamba le mari de Saagar jeûne et Gora est parti avec Ndiaga, le fils de Saagar, à la mosquée. Ils mangeront après. C’est un gynécée de femmes libres et indépendantes. Saagar a la richesse qui lui permet de ne dépendre de personne. Mame Diara a la beauté de choisir le nouveau mari qu’elle voudra. Mama fait de hautes études pour décider par elle-même de son avenir. Absa a son mari, Ndiaga, le fils de Saagar qui ne lui veut que du bien et Kingsé a la possibilité de manger dans le même plat que la femme qui l’emploi. Toutes ces femmes peuvent voyager, gagner de l’argent et avoir un compte bancaire. Certaines pourront même choisir leur mari tant qu’elles respectent l’Islam et sa loi. Elles se sentent libres, je crois. En tous les cas, elles sont joyeuses et peut-être même heureuses. Alors moi, je leur emboîte le pas pendant tout un après-midi.
Leuz
Leuz est un géant de 2m03 de longueur et 93cm de largeur. Je ne sais pas comment il trouve des vêtements à sa taille. Il fût longtemps l’ami intime et le collègue de Sidath et maintenant il est juste une de ces connaissances. Hier soir nous avons été dîner et boire un verre. Il m’a affirmé et ré affirmé qu’il était toujours mon ami, qu’il tenait à cette amitié et qu’il serait là pour moi : « on est ensemble, Nio Far » , dit-il.
Leuz, grand Leuz, mon cœur n’est pas la joie en ce moment et tes quelques mots me font du bien.
Aujourd’hui je l’ai rejoint à son bureau pour suivre son tournage du jour. Le concept est le suivant : 1 film d’environ 1h à produire par semaine pour la RTS. Pour être exact, une comédie sociale sur des thèmes imposés à l’avance. Diffusion le mardi. D’ailleurs, ça s’appelle : Les films du mardi. Je me permets de m’amuser et de m’interroger sur la gageure du projet et sur la possible impossibilité de tenir les délais. Mais, en fait, je ne sais pourquoi, cette fois-ci, j’ai vraiment du mal à me mettre dans le rythme. J’ai oublié qu’il n’y a finalement aucune contre-indication à ce que les films du mardi soient diffusés le samedi ou le jeudi.
À mon arrivée, l’équipe tourne sur fond vert installé pour l’occasion dans la pièce principale de l’appartement qui sert de bureau peuplé de pièces et de techniciens. Il faut que je me fasse bien discrète. Personne ne s’étonnent de me voir débarquer en fin de matinée et personne ne m’interroge sur ma présence. Je salue tout le monde et je rejoins Leuz et Laye qui montent le premier épisode du nouveau projet. Il s’agit d’une femme, garçon manqué, qui a perdu son frère lors de sa tentative de passage en Europe et dont le père l’a abandonnée. Elle travaille dans un stade de foot où elle fait le ménage. Un jeune journaliste vient l’interviewer et une rencontre se produit alors entre ces deux femmes en quête d’elles-mêmes. Tournage et montage tout en plan séquence. La comédienne est vraiment bien et ce sont des passages d’une belle tendresse que je vois se répéter infiniment sous le Final Cut de la salle de montage. Nous discutons avec Leuz des points de coupe quand l’ingénieur du son juste à côté de nous, nous demande de nous taire. Ah mais oui, c’est vrai, ils tournent à côté.
On fait silence et j’en profite pour me laisser penser à Paris et à ceux que j’y ai laissé. J’ai bien du mal à m’extraire cette fois-ci.
Sur les coups de 15h30, ils ont terminé. Ils rangent le matériel en vrac ( un peu trop en vrac à mon goût pour sa bonne santé ) et s’installent pour le déjeuner. 3 nattes sont installées au sol et 3 plats de riz rouge à la viande et aux légumes sont placés en leurs centres. Tout le monde prend sa cuillère et s’assoie autour des plats. Assez vite, je réalise que je suis la seule femme parmi environ 15 hommes. Pourtant, il y a bien au moins deux femmes qui ont fait à manger et ont installé les plats. Où sont-elles ? Leuz me dit qu’elles mangent dans la cuisine entre elles. Ah bon ? Et moi alors ? Je suis une femme mais je suis blanche alors ça me donne le droit de manger dans le même plat que les hommes? Ou alors ce n’est pas une question de couleur mais une question de place sociale. Elles sont bonnes et moi je suis conseillère en montage ? Je pose la question détournée. Leuz me dit qu’en fait, elles sont toutes les deux monteuses. Ah bon ? Mais qui a préparé le repas alors ? Et pourquoi est-ce elles qui nous servent ? Je n’ose pas poser la question, tant je crains la réponse. Don’t tell… Don’t ask !
Le repas terminé on passe au thé puis au match de foot. Je m’ennuie doucement et je commence à lire quand Charles, le très grand Charles (encore un homme de 2m) arrive. Je me réjouis de le retrouver après 5 ans sans le voir. Il m’apprend qu’il a une seconde fille avec l’américaine qui partage sa vie et qu’il travaille de plus en plus sur les tournages de productions étrangères qui se multiplient au Sénégal. Je suis bien heureuse pour lui. D’ailleurs, il a l’air assez heureux aussi et c’est tant mieux.
Leuz passe nous voir, me dit qu’il part déposer ça en me montrant une clé USB à la RTS et disparait. Charles doit partir rapporter du matériel. Gora est dans la voiture. Laye devant l’ordinateur. J’en profite pour piquer un somme sur le canapé du bureau vide bercé par le bruit de la vie Dakaroise que j’aime tant. Je suis réveillée par Amet qui vient me saluer. Encore une retrouvaille avec ma vie sénégalaise d’avant. On discute cinéma, écriture et vie maritale et je réalise que je suis en retard.
Vite vite j’attrape un taxi et je traverse la ville de part en part pour rejoindre mon ordinateur et Gora qui m’attend à côté. Dans les embouteillages de fin de journée, je croise comme d’habitude, des cars colorés, des charrettes, des magasins de toute part, des milliers de chaussures et une affiche pour un film. Je me demande bien à quoi ça sert, sachant qu’il n’y a pas de salle de cinéma à Dakar. Peut-être une VOD ou un DVD ? Je vais me pencher sur la question. J’adore ces moments entre deux au calme de mes pensées. Le temps est succulent malgré la grande pollution et je voudrais tant pouvoir vous transmettre mon plaisir infini à être dans cette ville. Un jour peut-être j’y arriverai.
J’espère retrouver Leuz ce soir. Mais je dois dire que ma tête n’est pas la fête. Gora n’est pas bien depuis ce matin. Il me dit : « Ma tête n’est pas tranquille jusqu’à présent et je sais pas pourquoi. Les jours comme ça j’ai beaucoup de découragements et c’est difficile la vie ». Un jour ta vie sera plus paisible Gora, je ferai tout pour ça.
Mama
La dernière fois que je l’ai vu, elle avait 14-15 ans et elle était déjà charmante. Ce n’était déjà plus une petite fille et pas encore une adulte. Comme c’est parfois le cas avec les adolescents, elle pouvait jouer à la poupée tout en commençant à se maquiller en rêvant de son futur amoureux. Pourtant la déferlante hormonale ne semblait pas la perturber plus que ça. Élève sérieuse jusqu’au bout de ses cheveux tressés, musulmane sans aucun doute, souriante et pleine d’entrain. Rien en elle ne sentait l’émancipation, la transgression ou encore le « je suis mal dans ma peau qui se transforme, putain, merde ! » de certain du même âge. Il est possible que le Sénégal et l’ordre social, religieux et traditionnel, aient aidé mais tout de même, j’étais déjà impressionnée.
Cet après midi, nous avons embarqué toutes les deux sur une pirogue bondée, pour accoster, toujours ensemble et main dans la main, sur l’ile paradisiaque et étonnement propre de N’gor. La traversée fut un peu remuante et j’ai pensé à mes quelques amis qui en ont connu une bien plus mouvementée. 5 min de pirogue qui prend l’eau, munie de gilet et avec l’assurance de pouvoir nager vers la terre ferme sans perdre forces m’ont suffi pour avoir peur, alors…….
Nous accostons et nous passons un bon moment. Tout d’abord sur un matelas au bord de l’eau. Nous discutons pour refaire connaissance. Elle a 20 ans maintenant. Elle est toujours une très bonne élève et d’ailleurs, elle va très possiblement continuer une licence en France l’année prochaine. Elle veut faire de la logistique, de l’organisation, de la production. Elle est toujours calme, posée, souriante, délicieuse et malicieuse malgré le grand sérieux qui l’habite. Bref, vous l’avez compris, j’aime bien cette petite.
Au milieu de notre bavardage de reconnaissance, nous arrivent des cris étouffés puis carrément stridents. Je tourne les yeux et je vois une femme tout habillée qui se roule sur le sable misérablement les mains jointes dans le dos et qui pousse des rugissements plus que des cris. Autour de moi personne n’a l’air de s’inquiéter, ni même d’y prêter vraiment attention. Je regarde Mama qui continue à parler comme si de rien n’était. Je m’étonne, je questionne. Elle me dit que cette femme est une Lébou (ethnie de la presque ile de Dakar, pécheur et souvent animiste) et qu’elles font ça tout le temps. On dirait une transe étrange. Un homme s’approche avec un seau rempli d’eau de mer. Il plonge la tête dedans, prend de l’eau dans sa bouche et tout en maintenant la femme au sol, crache l’eau sur son crâne. Il répète ce geste à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la femme se calme et se mette à ramper vers la mer. On dirait une otarie. L’homme la suit et elle disparaît sous l’eau en nageant comme un poisson. Quelqu’un tend alors une bouteille de lait au sorcier qui en lance le contenu en récitant ce que je pense être des prières. La femme réapparaît et, debout dans l’eau, bat des mains. On dirait de plus en plus une otarie. L’homme part, la femme sort. Rien n’a changé, rien n’a bougé, le spectacle n’a intéressé que moi. C’était chouette tout ça, sauf que nous ne pouvons plus nous baigner. Les Dieux Lébou ne le permettent plus.
Nous nous rabattons donc sur une balade dans l’île propre, mignonne, touristique, paradisiaque, pour atterrir face à un océan déchainé. Nous en profitons pour apprécier le vent, l’écume, le bruit, la sensation de puissance, en silence et recueillement.
De retour sur la terre ferme, nous allons manger une pizza chez Katia, le fameux resto des Almadies et nous nous séparons en nous disant à demain.
Quelques mois plus tard, Mama est partie faire des études dans une université canadienne
Khady
On attend beaucoup au Sénégal.
À Dakar j’attendais Sidath.
À Thies, j’attends Cheikh. Il devait arriver ce matin, Il n’est toujours pas là et je ne sais pas quand, et si, il va venir.
Je n’avais pas vraiment de moyen de m’occuper alors j’ai regardé le ventilateur du plafond en imaginant des histoires pour les « Films du mardi » de Leuz. Ça m’amuserait tellement d’écrire quelques scénarios pour lui.
Puis vers 14h30, je suis sortie pour allez voir Khady, l’épouse de Petit qui est un ami de Cheikh. C’est le gentil couple qui vit à la manière européenne, comme ils disent ici. Ils habitent un petit appartement avec un salon, une seule chambre, une cuisine et deux courettes. Petit n’a qu’une seule épouse et il accepte que Khady travaille un peu (même si pour le moment elle n’a pas encore retrouvé un poste d’assistante médicale). Ils ont même un chien. Chez eux l’ambiance est, très différente de celle de la grande maison familiale de Saagar.
Pourtant…
Khady, actuellement enceinte, est corps et âme dévouée à son mari, dont elle dit lui être à la foi redevable et inférieure. Elle fait à manger tous les jours, ce que Petit lui demande de faire. Elle accepte qu’il sorte, revienne, reparte sans jamais moufter. Elle l’attend patiemment seule toute la journée. Elle fait le ménage et se prépare à l’accueillir le soir en beauté. Elle ne souhaite pas décider pour elle-même et attend que son mari lui dise ce qu’elle a le droit de faire, comme par exemple porter des jupes mi-mollet, préparer de la viande, aller travailler ou encore sortir avec des amies.
Elle a l’air pourtant bien heureuse ainsi. En tous les cas, elle le dit. Elle est très amoureuse de son mari qui la traite bien, me dit-elle. Je ne suis pas certaine de savoir ce que ça veut dire mais à chacun ses besoins et demandes propres. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que moi je tiendrais peut-être 8 min, à attendre toute la journée, toute seule, le moment de me maquiller pour plaire à l’homme que j’ai épousé.
Bon…
Vous me direz : cocotte regarde-toi, aussi, assise comme ça dans une chambre à attendre d’abord Sidath, ensuite Cheikh, peut-être Oumar quand tu seras à Saint-Louis et possiblement la semaine prochaine Néné à Mbour. Toi, tu varies juste sur les gens à attendre. Ça fait du changement. On s’ennuie moins. On peut s’énerver contre différentes personnes, c’est quand même plus marrant.
Alors….
En partant de chez Khady et Petit, je profite de ma solitude pour faire un tour en taxi dans Thies. La radio gueule une émission politique en français. J’apprends que Macky Sall a baissé le prix du sac de riz et du kilowatt heure mais qu’il doit encore continuer ses progrès sociaux. Je n’écoute plus pour me concentrer sur la ville. Après le monde, le bordel, le bruit, la pollution, les enfants qui mendient, bref, l’agitation enthousiaste de Dakar, Thies apparait, pour ce qu’elle est, une calme ville riche de province. Thies pourrait être Nantes ou Bordeaux ou Lyon. Il y a moins de monde, les rues sont presque propres, les gens parlent et se déplacent doucement, très souvent en charrette et encore plus souvent en mobylettes. On se croirait presque à Ouaga, tellement il y a de deux roues aux couleurs affriolantes. L’air y est respirable malgré les plus de 40° de cette fin d’après-midi. Je me réfugie dans ma chambre ventilée jusqu’à la fraîcheur du soir où j’attendrai des nouvelles de Cheikh devant un épisode, peut-être deux et, en fait, vraisemblablement 3, de The Fall saison 3. À moins que je ne commence le dernier Alessandro Baricco Mr Gwyn, mais je crois en fait que je l’ai déjà lu. Va falloir que j’aille à la librairie. Chouette une occasion pour faire un truc.
Momodumbo
Un dimanche face à l’océan atlantique sud sur une plage bondée en compagnie de Momodumbo 16 mois, 4 dents et quelques mots de Woloff en bouche.
À mon arrivée vers 13h, j’avais le choix entre m’installer sur une natte avec les autres vacanciers du dimanche sénégalais ou alors rejoindre mes compatriotes Toubab dans l’espace qui leur est réservé sur la plage. Ici, à Ngor, il semble que l’apartheid ne soit pas tout à fait aboli. La vaste plage propose, en effet, en son milieu, une sorte de café délimité par des potelés proposant matelas, parasols et boissons fraiches aux toubabs en visite. Evidemment, c’est ouvert à tous et la plage aussi d’ailleurs mais, bizarrement, la mixité ne se crée pas volontiers. En tous, les cas, pour ma part, je ne veux pas, ne peux pas, m’enfermer ainsi dans un espace dédié aux élus surtout si l’élection porte à la fois sur la couleur de peau et la supposée taille du porte monnaie. Bref…. je reste sur la natte à même le sol et sous un parasol très bienvenu.
Ma première baignade fut une catastrophe ! Dès mon arrivée dans l’eau, la seule Toubab de la plage fit attraction. J’ai une grande habitude de ça. On m’appelle, on me demande des photos, on me sert la main, on me demande mon nom etc…. Ce dont je n’avais absolument pas l’habitude, c’est d’être entourée d’une bande de jeunes garçons extrêmement pressants et qui très rapidement ont commencé à me toucher le bras (ok), l’épaule (d’accord), le ventre ( heu), les fesses ( non!). Le tout à plusieurs et dans l’eau. Pas glop du tout. C’est la première fois que je suis confrontée à ça au Sénégal ! Si j’ai eu plusieurs propositions de mariage, si j’ai eu des hommes autours de moi assez pressants, jamais l’un d’entre eux avait eu un geste déplacé. Dépitée et un peu apeurée tout de même, j’ai regagné ma place en regardant avec une peu de nostalgie, les femmes en maillot de bain se baignant tranquillement en papotant dans l’espace blanc-VIP. Dans mon coin, les femmes restent assises sur le sable, habillées, couvertes pour s’occuper des enfants.
Heureusement, à mon retour, je trouve sur ma natte, un enfant qui joue avec mon téléphone. Il l’a trouvé tout seul dans mon sac et me lance des allô allô touchant en me souriant des ses 4 dents. C’est ainsi, grâce à la technologie Iphone que j’ai fait la connaissance de Momodumbo et que j’ai passé une bonne après-midi sur la plage de Ngor. L’avantage de fréquenter un jeune enfant (en dehors du fait que bien sûr, on refait son stock d’ocytocine), c’est que l’on passe dans une autre catégorie. Une mère, on ne la tripote pas dans la mer. Ben non !!!! Alors ne pouvant identifier les parents de cet enfants, je décide de rester m’amuser avec lui sur mon tapis de bronzage. Alors que nous étions en train de tenter de faire flotter un bateau en plastique vert et jaune, le père de Momodumbo (son père était donc là depuis le début) m’interpelle. Il s’agit en fait du gars qui est en charge de louer les nattes sur la plage. D’un coup, tout s’organise bien mieux dans ma tête ! Il m’interpelle donc et me propose de venir manger avec eux un Tieboudienne. Oh mais oui ! Avec plaisir ! Je ne sais pas encore ce qu’il veut dire par « eux » mais pas de soucis, je verrais bien en chemin.
Momodumbo reste accroché à mes bras, y compris pendant le déjeuner. Déjeuner durant lequel, j’apprends que Wali et Amet sont les deux travailleurs, gardiens, loueurs, hommes de ménage de la plage.
Momodumbo toujours dans les bras, nous retournons vers l’océan. Amet plaisante en me proposant de rentrer en France avec lui, sinon il va trop pleurer. Mauvaise idée Amet, mauvaise idée. Les jeunes enfants sont bien plus heureux au Sénégal. Il y a toujours quelqu’un pour les prendre dans les bras, pour leur donner un truc à manger ou pour leur montrer l’exemple. Jamais d’horaire pour manger, pour dormir, pour s’amuser. Il n’y a pas de danger pour eux à l’extérieur des maisons. Les autres adultes ne sont pas des prédateurs naturels dans cette société qui reste encore communautaire, en tous les cas, sur ce point là. Ils sont libres finalement, bien plus que moi, que nous et que les enfants parisiens. Ils sont libres jusqu’à 4-5 ans et ensuite le droit d’aînesse les rattrape. Mais avant, c’est la fête !
Vers 17h, Momobumbo s’endort sur ma natte. Je dois partir. Son père me dit simplement : « Au revoir et à demain » . Il va laisser son fils dormir tranquillement.
Mame Diara et Absa
Hier soir, de retour à Dakar j’ai cédé le luxe clinquant et amusant de chez Saagar pour une chambre sur un patio meublé presque sobrement et avec goût dans la quartier de Liberté 6.
C’est tout de même avec un peu de regret que je quitte la maison pleine de femmes et d’enfants de Saagar et surtout la belle Mame Diara. Cette fille est tellement moqueuse et directe que je me demande comment elle peut fonctionner ici où tout est fait pour ne jamais vexer personne.
Saagar me fait essayer une perruque. « Ça ne te va pas du tout » me dit Mame Diara en me souriant. Saagar me fait essayer une robe. « Tu as un gros ventre ! Pourquoi ? Tu manges trop ? » dit-elle encore l’air inquiète. Puis, «Ton petit Gora, Emilie, c’est un bandit, faut faire attention Dé. Toi, là, tu crois que tout le monde est gentil, mais qui t’a dit ça ? ».
Quand elle commence à parler d’Absa la jeune mariée de son frère, l’ensemble de la maison éclate de rire. Elle est moqueuse et franche, la belle Mame Diara et la jeune et maladroite Absa a du souci à se faire, pauvre petite.
Il y a 8 ans Absa était déjà chez Saagar. Elle avait alors 8 ans. Sa mère, la cousine de Saagar, a plein d’enfants et 2 co-épouses. Elle avait placé Absa chez Saagar pour que cette dernière apprenne à être bonne. Avec ma vision européenne, j’avais trouvé qu’elle était un peu jeune et que sa place était plus à l’école. Au moins le temps d’apprendre à parler français, à compter et à écrire. Nous nous étions mis d’accord avec Saagar pour proposer à la mère de garder Absa chez Saagar, qui paierait le riz et moi qui paierai les frais de scolarité.
Absa fut habillée d’un uniforme et prit le chemin d’une bonne école privée catholique. Tout allait bien quand, 6 mois plus tard, Absa annonça qu’elle voulait rentrer chez elle. Je fus appelée à la rescousse pour essayer d’infléchir la volonté de la petite et de sa maman qui trouvait finalement que sa fille lui manquait. Mais rien ne fut possible. La mère ne voulait pas qu’Absa aille à l’école. La raison en était simple, si elle apprenait et qu’en plus elle n’était pas excisée alors elle ne trouverait jamais de mari. La torsion intellectuelle fut très dure à opérer face à ce refus argumenté et bizarrement justifié. Absa quitta l’école et retourna chez elle.
Aujourd’hui elle est devenue la jeune épouse (16 ans) de Ndiaga le fils adoptif de Saagar. C’est un joli mariage arrangé dans la famille. Mais voilà, Absa ne sait rien faire. Du haut de son 1m80, elle est encore tout pataude de l’enfance. Elle casse tout, nettoie mal, parle beaucoup. Bref, elle ne sert pas à grand chose dans la maison et peu dans le lit de son mari qui lui aussi se plaint de ses maigres connaissances.
Heureusement, elle a gardé le même caractère souriant et agréable. Elle ne se fâche jamais. On dirait qu’elle est restée exactement la petite fille joyeuse que j’avais connu il y 8 ans. Je ne sais pas ce qui va arriver mais je crains qu’Absa ne quitte une nouvelle fois la belle maison de Saagar pour retourner chez sa mère à Touba.
Néné
Je regrette de n’avoir pas pu voir Néné. Elle a du quitter Mbour pour aller au chevet de sa mère malade à Kolda en Casamance et Kolda et bien, c’est très loin !
Néné est une belle guinéenne, sénégalaise d’adoption, qui bossait à Sally avec les Toubabs. Peut-être un peu de prostitution, je ne sais pas. En tous les cas, au moment de notre rencontre il y 8 ans, il y avait un Toubab qui s’occupait d’elle. C’était un vieux beau très sympa. Elle me disait souvent qu’elle était étonnée de ses performances sexuelles. « Il est Saf, dis! » répétait-elle. Mais pas autant qu’Oumar. « Ah, si on nous laisse ensemble Oumar et moi dans un lit, alors là !!! ». Mais elle ne voulais pas épouser Oumar. « Quand il va me trahir, je vais avoir mal. Il ne faut jamais épouser un homme que tu aimes. Il faut épouser un homme qui t’arrange ».
Le toubab, quand même, elle l’aimait bien. Il était gentil avec elle. Il lui payait des études de stylisme pour faire de la couture ou de la coiffure. Et puis, il payait la chambre, le riz etc…. Et quand Néné a trouvé un homme qui l’arrangeait, alors le toubab a même payé le mariage, puis le baptême de sa fille. Il était vraiment sympa le vieux toubab.
Nené vit maintenant à Mbour avec son géologue de mari. Un célibataire endurci qui avait cédé devant l’insistance de ces 8 sœurs pour prendre une femme. Néné est très jolie et elle ne semblait pas trop dérangeante. Ils ont passé une sorte de deal et ça semble tenir parce qu’ils sont toujours ensemble 6 ans après.
J’aurais été heureuse de la revoir. J’aurais peut-être du l’écouter et ne pas marier un homme que j’aimais. Pour la prochaine fois (si toutefois un jour j’arrive à divorcer) j’essaierais sa formule. En suis-je capable? Un jour, peut-être, je serais raisonnable. Un jour ou deux, alors !
quelques jours au Sénégal
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