Août 2016 Bruxelles
« …sur la face, sans souffle intérieur, livrée sans défense au premier diable venu….» Tobie Nathan.
Il y a des personnes qui vous rendent à vous-même. À leur contact vous ne pouvez plus tricher avec vous-même. Tout s’ajuste en vous et, dans un même mouvement, tout s’apaise. Mon cher ami Cheikh me fait cet effet-là, alors, cet été de 2016, j’ai pris le bus pour Bruxelles-Midi puis le tram pour le quartier Forest / Saint Denis pour 2 jours avec lui.
Saint Denis à Bruxelles c’est comme Saint Denis en Île-de-France. On n’est pas dépaysé, mais alors pas du tout. Même tramway « sur-bondé », même femmes très voilées, même population bigarrée, même impression de petite pauvreté. C’est plutôt cool !
En tous les cas, hier soir, dans ce quartier, nous avons été invités à un barbecue dans la cour de Max, le doux, le calme ami de Cheikh. Il y avait du poisson, du poulet, du riz, de la sauce aux oignons, des bières, du vin rouge (français pour la toubab française) et 5 sénégalais d’importation. Nous avons donc mangé, dansé, dit des plaisanteries, regardé le soleil se cacher sur un horizon pâle orangé et la lune se lever, parlé politique et fait connaissance, pas forcément dans cet ordre-là.
Comme nous parlions de choses et d’autres, m’est venu l’idée de leur demander quelle est la plus grande difficulté d’adaptation qu’ils rencontrent en Belgique.
Pour Cheikh et son ami Max, ce sont les horaires et le temps.
Oh ben oui, je suis bien d’accord ! Parce que moi, aussi, au Sénégal, ce n’était pas très facile de vivre en oubliant, absolument, complètement, la notion de planning, de RDV et même de projection émotionnelle dans le futur. Je crois qu’il doit en être de même dans l’autre sens.
Pour Amadou, ma question était idiote et il n’allait pas s’abaisser à me répondre. Bon! J’étais assise à côté de lui, presque malgré moi, j’ai déplacé ma chaise au plus loin et j’ai tourné la tête dans l’autre sens. Ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché de nous couper la parole invariablement en commencent toutes ces phrases par : « Non mais… » Mais c’est une autre histoire moins rigolote et sans grand intérêt.
Djibril, bonnet sur les dreadlocks, lunettes d’étudiant sur le nez et splif d’herbes aux lèvres, m’a dit qu’il rencontrait les mêmes difficultés, financières et relationnelles. Mais depuis qu’il a eu son fils avec sa copine belge il a plus conscience qu’il ne doit pas faire de mal aux femmes. Je n’ai pas eu le temps de fouiller cette réponse malgré les trois cents mille questions qui se sont mises à danser la java sous mon crâne. Que veut-il dire exactement ? Est-il question d’infidélité ? Est-il question d’argent ? Est-il question de sexe ? Et d’abord qu’est-ce que les femmes sénégalaises acceptent que les femmes Belges n’acceptent pas et vice-versa ? Je n’aurai pas les réponses ce soir.
Pour Ass, ce sont les boîtes aux lettres.
Les boîtes aux lettres ?
Là, je dois avouer, j’ai fouillé !
Voilà ce quel j’ai trouvé sous cette réponse étrange.
Dans les boîtes aux lettres, on y trouve que les mauvaises nouvelles. Oui parfois quelques bonnes aussi, mais celle-là on les attend tellement qu’à la fin elles sont presque sans saveur.
Au début il était heureux de cette boîte métallique qui le reliait au monde, à sa nouvelle vie Belge. Il faut dire que l’administration est lourde au tout début et recevoir le tout premier document légal et précieux, par ce moyen de communication assez peu répandu, voire pas du tout usité au Sénégal, était une preuve indiscutable de son intégration européenne. Le temps passant, l’administratif étant réglé, il s’est mis à espérer une carte postale ou alors un prospectus prometteur sans que rien n’arrive vraiment. Alors il y a bouderie et maintenant c’est carrément fâcherie. Il sort de chez lui le matin et passe devant l’oiseau de mauvaise augure sans l’ouvrir.
Oh ! Ne jamais ouvrir sa boîte le matin au risque de passer une mauvaise journée ! Les factures ou autres réclamations qu’elle contient peuvent miner même la journée la plus joyeuse. Il faut attendre le soir après une belle préparation psychologique pour aller y retirer les courriers. Les prendre dans la main droite et surtout les ouvrir avec précautions mais détermination. Au Sénégal, aux moins les factures et les mauvaises nouvelles, étaient annoncées en personne par l’employé de la compagnie ou un membre de la famille. On pouvait discuter. On pouvait négocier. On pouvait s’entendre. On pouvait se faire comprendre. Mais comment faire en face d’une feuille de papier froide et impersonnelle, qui nous rappelle sans ménagement à nos obligations et nous projette projette sans même un espoir de consolation dans le réel frontal et brutal. Ass souhaiterait ne pas en avoir, mais, il s’est renseigné, c’est interdit. On est obligé d’avoir une boîte aux lettres ! CQFD. Cet objet est le premier jalon du système administratif et financier mis en place par l’occident pour limiter la liberté de ces concitoyens et assurer la mainmise du système étatique, capitalise et travailliste.
Il y a un an nous avons dû mettre aux normes les botes aux lettres de mon immeuble. Et oui, la normalisation des boîtes aux lettres et une histoire à prendre très au sérieux. Non seulement nous devons tous en avoir une pour nos courriers officiels, cachets de la poste faisant foi… mais en plus elles doivent toutes être de la même taille.
Respect des droits de l’homme : nous naissons tous égaux face à nos boîtes aux lettres ou nostalgie du communisme, je ne sais pas, mais en tous les cas les dimensions intérieures des boîtes aux lettres normalisées correspondant à un volume minimum de 260 x 260 x 340 mm pour chaque case.
Et bien figurez-vous que dans la cage de mon immeuble, ça ne rentre pas. Il n’y a pas la place !!! Nous sommes trop nombreux !!!
Que faire ? Expulser ? Créer des boîtes aux lettres communes : 1 pour 3 résidents ? Pousser les murs ?
Pour le moment nous payons des amendes et les râleries des postiers. Nous trouverons une solution… peut-être !
Vous savez que les demandeurs d’asile, ne peuvent avoir de boîte aux lettres, normalisées ou pas, et d’ailleurs, qu’ils aient un logement ou pas. Ils vont chercher leur « poste » comme ils disent, après de nombreuses heures de queue, dans des domiciliations offertes par l’état avec la crainte invariable d’une mauvaise nouvelle.
Quand viendra le temps du tout électronique et des boîtes aux lettres virtuelles, est-ce que nous aurons moins d’appréhensions, moins de colère, moins de plaisir à recevoir nos précieux courriers dématérialisés ?
Et qu’est-ce qui fera foi ? La date d’envoi, la date de réception ?
Et si ça passe dans les spams ! ?
Bref…. je crois que j’ai fait le tour. On en reparlera dans 10 ans.
Peut-être devrais-je imprimer ma bafouille et vous l’envoyer par courrier 😉
la domiciliation apparait comme un droit aux yeux de la loi française, et n’est donc pas obligatoire. Pour autant, la possession d’une adresse administrative semble une obligation « de fait » pour quiconque veut être intégré à la société, cette dernière permettant entre autres, de pouvoir recevoir les courriers administratifs, les aides sociales ou bien de payer ses impôts. Le Code de l'action sociale et des familles stipule à l'article L264-1 Modifié par LOI n°2014-366 du 24 mars 2014 - art. 46 Pour prétendre au service des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles, à l'exercice des droits civils qui leur sont reconnus par la loi, ainsi qu'à la délivrance d'un titre national d'identité, à l'inscription sur les listes électorales ou à l'aide juridictionnelle, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet effet. Dans le cas des demandeurs d'asile, le CESEDA dans sa partie réglementaire au chapitre V, impose une domiciliation en fonction d'un schéma national de répartition. Ils ne choisissent pas leur lieu de vie qui est déterminé en fonction des capacités d'accueil des régions françaises. Si les familles restent ensemble, en revanche, toutes autres formes de liens sont rompus. Article R551-1 Création Décret n°2020-1734 du 16 décembre 2020 - art. Pour l'application de l'article L. 551-4, le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés fixe, tous les deux ans, la part des demandeurs d'asile devant résider dans chaque région, hors outre-mer. Cette répartition tient compte des caractéristiques démographiques, économiques et sociales ainsi que des capacités d'accueil de chaque région. Le schéma fixe également par région la répartition des places d'hébergement destinées aux demandeurs d'asile et aux réfugiés.