Il fut un temps où j’étais plus jeune qu’aujourd’hui. J’étais plus fougueuse, plus insouciante et encore plus curieuse. C’était il y plusieurs années, et pourtant, je travaillais déjà pour des festivals et des tournages. L’un d’entre eux était un festival de musiques africaines. Une année, j’y suis tombée amoureuse de Modibo Diabaté. Ou plutôt, pour être tout à fait exacte, Modibo Diabaté est tombé amoureux de moi et m’a fait une cour autant inventive qu’intensive.
Il a commencé par m’apprendre que nous allions nous marier. Il en avait eu la vision. Comme nous ne devions pas avoir de relations sexuelles avant le mariage, il fallait donc que notre union ait lieu très bientôt. Il a donc accéléré la procédure dès qu’un demi-accord incrédule et hésitant sorti de ma bouche.
Il a d’abord apporté des noix de cola à mon père effaré, devant l’université du Panthéon Sorbonne. Puis, après renseignements pris sur le métier de chanteuse de ma mère, il a sonné à sa porte avec un balafon fait de ses propres mains et son dernier CD.
Cette cour mêlait tradition et modernité et j’en ai été en gros exclue, puisque de tout façon, il semblait d’une absolue certitude que nous finirions ensemble.
De mon côté, je me laissais porter tranquillement sans y croire vraiment mais avec une infinie curiosité pour la suite des événements. Il était en Europe pour trois semaines et devait enchaîner les concerts et la recherche de matériels aussi variés qu’introuvables à rapporter au Mali. La cour qu’il me fit fut donc tachetée de retards, de rendez-vous manqués, de plannings modifiés et de nombreuses visions étranges et répétées.
Un jour il manqua le train pour Marseille sans que je puisse le joindre. Je le pris donc seule et y rencontrai, par hasard, un ex petit ami que j’avais beaucoup aimé. Deux jours après, Modibo m’appela. Alors que je lui reprochais de m’avoir laissée sans nouvelle, il m’apprit simplement qu’il ne m’avait pas abandonnée puisqu’il avait demandé à Dieu de m’envoyer dans ce train qu’il avait manqué un homme qui m’aimait. Une autre fois, il cita avec exactitude les noms de mes amies avec qui j’avais dîné la veille.
Je dois avouer qu’à ce stade de notre affaire, je commençais à être plutôt effrayée.
Heureusement, il repartit pour son pays et me proposa de l’y rejoindre afin de faire connaissance avec ma nouvelle famille. Toujours intéressée, intriguée et étonnée, je lui dis que je viendrais avec plaisir mais un peu plus tard. Prétextant que je voulais y être occupée, je lui demandais de me laisser le temps de trouver quelque chose à faire au Mali et plus exactement à Koutiala, sa ville natale. Je pouvais ainsi, le cas échéant, refuser de me retrouver dans une petite ville malienne avec un homme que je connaissais à peine mais qui pour autant voulait m’épouser. Mais c’était sans compter sur les relations étroites, voir intimes, de Modibo avec les hasards et les coïncidences.
À peine quelques jours plus tard un ami débarque à Paris pour y chercher sa femme qui vient de le quitter sur un coup de tête. Il y rencontre une connaissance perdue au hasard d’un coin de rue. Ce dernier est à Paris lui-même par erreur car il s’est trompé de jour de RDV. Au coin d’une rue, l’un est l’autre s’émerveillent de cette si douce coïncidence et se mettent à discuter. Il se trouve alors que l’ami de mon ami cherche une directrice de production qui pourrait l’accompagner sur un tournage au Mali. Un appel plus tard, je découvris que, non seulement, il s’agissait d’un documentaire sur une technique agricole que je connaissais mais qu’ils allaient tourner à Koutiala dans les champs de la sœur de Modibo !
J’appelais évidement Modibo qui ne comprit pas bien mon excitation au bout du fil. Après tout, rien de bien étrange. Il avait prié bien comme il fallait, donc rien d’étonnant à toutes ces coïncidences. Pas besoin de passer de nombreux appels et messages aux humains quand on a une ligne directe avec Dieu. Non ?
En tous les cas, sans excuse possible, et de toute façon ravie, je suis donc partie à Koutiala rejoindre Modibo pour une semaine de repérages du film en devenir.
Sa famille m’accueillit avec sorte de fausse gentillesse polie puis se désintéressa complètement de moi à l’exception de sa sœur qui voulait absolument que le film se fasse. Je vis Modibo 3 fois en 1 semaine et la dernière fois, il me mit dans la voiture d’un ami pour l’aéroport de Bamako avec une tunique en Bogolan et une écharpe assortie.
De retour en France, un peu perplexe de mon séjour, je ne fus pas étonnée que Modibo espace ses appels pour finalement ne plus donner de nouvelles. Je me suis simplement dit que les relations à distance sont le plus souvent vouées à s’étioler, s’effriter, s’amenuiser et doucement s’estomper jusqu’à ne devenir qu’un souvenir sous la forme d’une écharpe en Bogolan, par exemple. Et d’ailleurs, je l’avais égarée cette écharpe. Impossible de remettre la main dessus. Comme je ne perds pas souvent mes affaires, je dois avouer que j’en ai été peinée. Tel ne fut pas mon soulagement et mon effarement tout à la fois, quand je reçus un message de Modibo me disant qu’il s’était trompé, que nous ne devions pas être ensemble pour le moment car mon écharpe était revenue au Mali. Signe indéniable de Dieu qu’il fallait attendre pour notre union. Il m’annonça alors qu’il me recontacterait quand ça serait le bon moment pour nous.
Un couple d’année plus tard, un soir où j’étais montée regarder le coucher de soleil depuis l’esplanade de la bonne mère à Marseille, la sonnerie de mon téléphone m’extirpa de la beauté du lieu. Modibo m’appelait !
Après quelques politesses d’usage, il me dit simplement qu’il ne pouvait toujours pas être mon époux mais qu’il allait m’envoyer quelqu’un portant son nom pour qu’il prenne soin de moi. Une heure plus tard, assise au même endroit, tout à fait énervée par l’intrusion sans gêne de ce Modibo disparu puis revenu pour seulement quelques instants, je rencontrais Mohamed Kouild dont je tombais amoureuse dans l’instant, et pour longtemps, avant même de savoir qu’il portait le même prénom que l’objet de mon énervement.
Puis le temps passa et Modibo ne revient pas. Mohamed se maria avec une autre et moi avec un autre. Je remisais la tunique en Bogolan au fond d’un placard et partis m’installer auprès d’un mari ni musicien, ni sorcier, ni même porté sur la spiritualité, dans un autre pays d’Afrique de l’est. La vie pris des tours et détours qui me ramenèrent en France sans mari et sans enfant. Histoire de m’occuper pour oublier mon infortune, je décidais de m’occuper des autres. Paris s’était empli d’arrivants encore plus esseulés que moi. Je me suis occupée d’eux. Aboubaïda, un très jeune Erythréen, vient ainsi passer quelques jours chez moi pour reprendre des forces.
Un jour, alors que j’avais la tête ailleurs, Aboubaïba est allé farfouiller au fond du placard pour en sortir, puis se vêtir, de la tunique en Bogolan. J’expliquais au curieux dans un langue mêlant français, anglais, langue des signes et 5 mots d’arabe, ce que signifiait cette tunique pour moi à Aboubaïda qui m’écouta avec beaucoup d’attention et me dit simplement : Modibo va te faire un signe.
Une semaine plus tard, j’accompagnais Z. à l’OFII. Nous avons fait la queue sous la pluie pendant des heures et arrivée devant la porte, le vigile me dit que je ne peux pas entrer car visiblement, je ne suis ni étrangère ni demandeur d’asile.
Négociation. Acceptation.
Je pus entrer avec Z. et les deux femmes qui me suivaient. La première me dit alors : » Moi non plus je ne suis pas étrangère mais comme je suis noire, ils ne peuvent pas le savoir. » Pas bête ! La prochaine fois, je me déguiserais !
Une fois à l’intérieur nous avons encore attendu, Mais nous étions au chaud et proche d’un distributeur de café. C’était la première fois que je voyais Z. et nous avons eu le temps de faire connaissance, ainsi qu’avec la femme farceuse autours d’une tasse en plastique contenant un mauvais café. Cette dernière était malienne. Alors, au détour de la conversation, alors que j’étais en train de me vanter de connaitre le Mali par le biais de Koutiala, la femme m’appris simplement qu’elle était aussi de là-bas. Elle était la belle-sœur d’Abdoulaye Diabaté, le frère de Modibo. La belle-sœur du frère de Modibo… la femme de Modibo ?
Un énorme : « C’est dingue ! » sorti de ma bouche.
La femme, qui était la femme d’un autre frère d’Abdoulaye et Modibo, l’appela devant moi et je pus lui parler quelques minutes totalement émue. Il me demanda si j’avais un mari. Je dis : oui, mais il ne s’appelle pas Mohamed et de toute façon nous sommes séparés. Il me répondit qu’il avait deux enfants. Juste ça, rien de plus alors que j’étais assoiffée de ses paroles.
Quelque jour plus tard, je reçu un message vocal étrange laissé par une voix inconnue. Le message disait : il ne faut pas se tromper de voie, la bonne se décline en plusieurs choix. Je ne sais pas si ce message était une erreur ou une nouvelle énigme de Modibo. Je n’ai eu aucune nouvelle depuis ce jour de juin pluvieux à l’OFII et je dois avouer que je ne sais toujours pas quoi penser de tout ça.
Les demandeurs d’asile doivent bénéficier de « conditions matérielles d’accueil » censées leur assurer un niveau de vie « adéquat ». Cela passe par l’hébergement, une allocation financière, l’accès aux soins et au marché du travail, sous certaines conditions. Panorama du régime applicable. C'est le droit européen, transposé dans le CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), qui régit les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Le Paquet Asile ou RAEC (régime d'asile européen commun), est est un ensemble de textes législatifs fixant des normes et procédures communes aux États membres de l'Union européenne en matière de protection internationale, afin d'offrir aux demandeurs comme aux bénéficiaires un statut uniforme et un degré égal de protection sur tout le territoire de l'Union. Le RAEC se compose à titre principal de cinq grands textes, à savoir trois directives et deux règlements: - La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) et - La directive qualification révisée, qui donne les motifs de protection telle qu'énoncé dans la convention de Genève de 1951 - La directive procédure révisée fixe les délais aux États membres pour apporter des réponses aux demandes de protection et énonce leurs obligations à respecter. - La loi Dubin qui détermine l'État membre responsable de la demande d'asile sur plusieurs critères dont l'un est la première prise d’empreinte dans l'U.E. - Le réglement EURODAC révisé encadre le fonctionnement du système informatisé permettant la comparaison des empreintes digitales dans le but de contrinuer à déterminer l’État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale En France, le droit d'asile constitue le livre VII du CESEDA. Ces deux directives sont transposées au Chapitre IV. En France c'est l'OFII (office français de l'immigration et de l'intégration) qui se charge de mettre en place le dispositif d'accueil le jour où les demandeurs d'asile reçoive leur notification. L'OFII évalue les besoins et devrait proposer un hébergement et une aide financière de 6,80€ par jour. Depuis 2018, il existe une carte qui réparti les demandeurs sur tout le territoire français en fonction des places disponibles. Ceci dit, la France manque cruellement de structure d'hébergement et la plupart des demandeurs surtout en région parisienne, se retrouve sans logement. L'OFII peut alors proposé une aide de 14,20€ par jour pour ceux qui n'ont pas d'hébergement. Dans les fait, il n'y a que ceux qui sont placés en procédure normale sans qu'un autre pays européen par lequel ils sont passés n'accepte son dossier (la loi Dublin).