Le chat d’Abou

« Cute cute, cute… no ?  » me dit Aboubaida en me montrant le tout petit chaton très sale qu’il tient dans une de ses mains. Puis il me tourne le dos et va dans la cuisine prendre un bol dans lequel il décide de verser du lait. Mais le chaton me semble trop petit pour laper tout seul du lait de vache pasteurisé UHT qu’en plus, il ne digèrera pas.

Je m’approche d’Aboubaida et lui dit qu’il faut peut-être amener ce tout petit chat si cute chez le vétérinaire. Il me regarde sans comprendre. Aboubaida ne parle que l’arabe et moi je ne le parle pas du tout. Il me tend son téléphone pour que j’écrive mon message dans l’application google traduction. Depuis qu’il vit chez moi, nous avons opté pour une communication mi-gestuelle, mi-GoogleTrad. Le nombre de malentendus entre nous doit être immense, et le fait qu’il pense qu’il peut amener un chaton chez moi sans me demander si je suis d’accord en fait partie.

Chez le vétérinaire le petit chat qui s’appelle maintenant Amina, reçoit une batterie d’examens, quelques vaccins et un régime alimentaire adéquat.

De retour à la maison, Aboubaida fabrique une petite caisse douillette pour Amina qu’il place à côté du canapé sur lequel il dort depuis qu’il a quitté le camp de rue à Stalingrad dans lequel il vivait.

Nous nous y étions rencontré le jour où j’allais y chercher quelqu’un d’autre. J’y arrivais à peine quand une émeute a éclaté sous mes yeux suite à une mauvaise distribution alimentaire. Les afghans ont saisi des barres de fer et se sont mis à taper sur les soudanais qui eux même étaient armés de pierres. Les objets volaient au dessus des mouvements de foule alors que des hommes blessés et ensanglantés tombaient sur le bitume.

Prise de peur, prise au piège, je me suis plaquée le long du mur et j’ai cherché un refuge dans le regard des autres spectateurs forcés. À quelques mètres à peine, une femme d’une trentaine d’année, blonde, grande, regarde la scène en fumant et en riant avec d’autres soutiens aux réfugiés. Devant eux, une table temporaire a été monté pour des distributions et des aides à la rédaction de documents administratifs. J’ai été plusieurs fois assise à une de ses tables branlantes et sales en pleine rue devant des centaines de demandeurs. Son détachement face à la violence physique me met très en colère. Je veux m’avancer pour lui dire ma façon de penser mais Fathy, un ami soudanais, apparait devant moi et me tire par le bras vers l’intérieur du quartier de la Chapelle.

Assise à peine plus loin, à la terrasse d’un café, j’écoute les sirènes de police qui vient mettre de l’ordre. Un jeune homme, presque un enfant, m’a mis une veste sur les épaules alors que Fathy est parti nous chercher des cafés. Aboudaida me sourit. J’essaie de lui parler en français, puis en anglais mais je comprends qu’il ne parle ni l’un ni l’autre. Fathy revient et je l’interroge sur ce jeune garçon qui l’accompagne.

Aboudaida, était arrivé en Italie il y a 7 mois dans un bateau qui avait fait naufrage. Il avait sauvé de la noyade quelques uns des migrants qui partageaient le danger. Alors on lui avait fait un petit mot d’excuse et l’OFPRA avait décidé que ce courageux jeune garçon à peine majeur avait mérité d’être protégé. Il avait quitté le camp de réfugié érythréen du sud Soudan 18 mois plus tôt. Il avait traversé le désert, failli mourir plusieurs fois, vécu au milieu des bandes armés de djiadistes qui l’avait forcé à travaillé pour payer son passage puis l’avait vendu à un autre groupe. 8 mois après son arrivée en Libye il est monté dans un bateau tellement usé, tellement bondé qu’il a fait naufrage au milieu de la mer alors qu’un autre bateau d’humanitaire venait le secourir.

7 mois plus tard Aboubaida avait un titre de séjour de 10 ans de réfugié. Il ne parlait pas français, ne connaissait rien à la vie en Europe, n’avait jamais été à l’école, et n’avait droit ni aux aides pour demandeurs d’emploi (car il ne l’était plus), ni au RSA parce qu’il été trop jeune, ni à une prise en charge pour mineur (il était déjà trop vieux). Il vivait dans les rues parisiennes sans bande armée, sans travail forcé, mais dans le froid et l’indifférence générale.

Le soir Aboudaida est venu chez moi et il y est resté 3 mois jusqu’à ce qu’il disparaisse un jour dans un sourire sans explication. Il prit ses quelques affaires, son petit chat et la porte, dans cet ordre là.

En sortant, il me dit: Amina, Émilie, c’est pareil.

C’était il y a 3 ans. Aujourd’hui Aboubaida parle français. Il est peintre en bâtiment à Toulouse. Il a envoyé deux tracteurs à ses frères au Soudan. Il a une petite amie marocaine. Amina a eu des chatons. Il souhaite partir quelques semaines au Soudan mais il craint que les retrouvailles soient difficiles.

La demande d'asile en France se fait en plusieurs étapes au court desquelles le demandeur rencontre des obstacles aussi variés qu'inventif.
Entre la loi et les pratiques des préfectures l'écart est grand.

La procédure de la demande d’asile
Les procédures et les délais sont transposés dans le CESEDA au chapitre V (précédemment chapitre VII) Étape 1 : enregistrement de la demande d'asile auprès d'une PADA (plateforme d'accueil pour les demandeurs d'asile). Selon les textes, la France a trois jours pour l'enregistrement. Mais la plupart du temps, les demandeurs mettent souvent plusieurs mois pour accéder par téléphone à un RDV en PADA Étape 2 : remise du dossier OFPRA (office français protection des réfugiés et apatrides),si la demande est acceptée, à rendre 21 jours plus tard avec un récit en français exposant les raisons de la demande. Aucun traducteur n'est prévu. Si c'est une première demande en Europe, ils recevront un hébergement et une aide substantielle de 6,80 euros par jour. Mais dans la pratique l'OFII héberge à peine 50% des demandeurs qui se retrouve à le rue et l'ADA (aide aux demandeurs d'asile) est refusée dans 30% des cas. Étape 3 : entretien à l'OFPRA en présence d'un interprète. La réponse est rendue entre 1 et 18 mois. En 1980 l'OPFRA protégeait à 80%, aujourd'hui elle refuse à 80%. Étape 4 : recours devant le CNDA. Le demandeur à 15 jours pour faire une demande d'aide juridictionnelle et 30 jours pour introduire un recours. Étape 5 : audience à le CNDA si le recours ne part pas au tri à l'ordonnance. Entre le délai d'audience et le temps pour statuer le demandeur peut encore attendre plusieurs mois, parfois plusieurs années. Étape 6 : statut de réfugié accordé ou début d'entrée dans l’illégalité. Dans les deux cas, les demandeurs sont livrés à eux même et doivent trouver du travail le plus vite possible. http://www.info-droits-etrangers.org/sejourner-en-france/lasile/la-procedure/#territoire

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