La rencontre
Lui, s’appelle Adam Ali mais il pourrait s’appeler Ismael, Rachid, Moussa ou même Vasil.
Elle, s’appelle Marie, mais elle pourrait s’appeler Virginie, Marion, Nathalie ou Rebecca
Il a 25 ans, elle en a 45. Mais dans cette histoire, l’âge comme la couleur de peau ou même le sexe, importe très peu.
Il y a 2 ans, au sortir de sa seconde incarcération, au Soudan, pour pensée non conforme, il s’est enfui. Il perdit sa famille, ses amis, son gagne-pain, son pays. En Libye, il perdit son identité en laissant ses papiers officiels aux passeurs. Après la mer, il perdit une partie de ses illusions. Après avoir marché de Vintimille à Nice, il perdit ses forces. En entrant au camps de rétention de Vincennes, il perdit la possibilité d’avoir un récépissé de demande d’asile.
6 mois plus tard, c’était hier.
À 15 ans elle perdit sa virginité et depuis elle n’a jamais rien perdu…. ou presque.
Ils se rencontrèrent en dansant et eurent l’impression l’un et l’autre de se connaître depuis longtemps.
Pourquoi ? L’histoire ne le dira pas, parce qu’eux-mêmes ne le savent pas.
C’était le jeudi soir, dernier jour de l’année 2015 vers 22h. Ils se quittèrent le lundi suivant à 19h.
Lundi, c’était hier.
Hier, donc, ils étaient ensemble.
À 14h, ils étaient en face du bureau de France Terre d’Asile avec presque 300 autres. Une file de personnes, dont la couleur tendait plutôt vers le foncé, s’étendait loin, très loin, de la porte d’entrée. 3h de queue assez joyeuse accompagnée parfois d’autres demandeurs en détresse et pleins d’espoir.
Puis, après quelques négociations, une jeune fille blonde et patiente, mais visiblement fatiguée, lui remis le papier jaune de l’accusé de réception de la poste. La réponse de l’OFPRA à sa demande d’Asile, verdict quitte ou double, était arrivée.
Le papier jaune en main, la peur le saisit : et si la demande était rejetée ?
Entre France Terre d’Asile et la poste restante pour les demandeurs, il faut marcher environ 1 km, mais ils commencèrent par s’égarer, un peu désorientés.
Ils marchèrent donc presque 20 min l’une prêt de l’autre, s’effleurant de temps en temps, comme pour chasser les idées noires.
Lui aurait voulu que le temps ralentisse, ne jamais savoir, disparaître dans un autre espace, dans une réalité plus clémente. Se déporter dans un lieu où sa vie ne dépendrait pas d’une feuille de papier blanche et impersonnelle.
« Quelqu’un a joué avec ma vie », répétait-il.
Elle marchait, l’écoutait et se remémorait, malgré elle, toutes ces fois où elle était allée chercher des résultats qui pouvaient changer sa vie : le bac, des résultats médicaux, un agrément d’adoption, une demande en mariage.
Ils s’engouffrèrent dans le hall de la poste restante. Large couloir éclairé au néon, sols crasseux, murs qui s’effritent, plantes vertes en perdition. Ils y croisent peu de ces visages fermés qui viennent de recevoir une réponse administrative. La traversée est longue, trop longue, jusqu’au guichet cerné de boîtes aux lettres bleu roi aux numéros jaunes. Chaque pas est lesté de la peur. Le souffle est court et il faut pourtant attendre encore derrière une dizaine de personnes pour enfin accéder à LA réponse.
Il lui demanda d’ouvrir la lettre pour lui et de ne pas le regarder si la réponse était négative. Elle prit l’enveloppe dans la main gauche, elle était épaisse. Elle l’ouvrit et sortit la première page. Son regard aiguisé la traversa et trouva immédiatement le mot « rejetée ». Alors elle chercha ailleurs, le cœur battant bien trop vivement, de l’espoir dans les pages suivantes, mais elle n’en trouva pas. Pourtant elle le regarda. Elle le regarda dans les yeux et elle le vit pleurer.
Elle l’étreint, elle le soutient. Il est vidé.
Elle le recouvre de mot. « Il y a plein d’autres possibilités. Tu dois faire appel à la CNDA. Tu peux te marier. On va trouver une solution, il y en a plein. On va s’arranger. On va s’organiser. On va trouver une solution. »
Lui se laisse faire. Il n’est plus en vie. Il n’a plus d’envie. Ah si ! Il veut boire et rester seul dans la Hall Pajol, le premier endroit qui l’a accueilli à sa sortie du camp de rétention de Vincennes.
Elle voudrait extraire son profond découragement, en faire un nœud et le jeter comme une bombe dans le bureau des entretiens de l’OFPRA. Alors elle continue à lui parler sans cesse, à lui sourire toujours, à lui toucher le bras, le front, la joue, les épaules. Peut-être que finalement elle arrivera à le recouvrir entièrement, à le protéger du monde, à l’enfouir dans ce lieu plus juste où les solutions sont faciles à mettre en place….
A 19h, hier soir, ils se sont séparés.
Elle l’a laissé place de la Chapelle avec une bouteille de Martini et une boîte de Caprice des dieux, sans noter alors l’ironie du nom de ce fromage industriel, au goût universel, imperméable qu’elle était à autre chose que sa promesse réaffirmée pour la vingtième fois de sa détermination à être là pour lui afin de trouver une solution.
La rupture amoureuse
Lui, s’appelle Adam Ali mais il pourrait s’appeler Ismael, Rachid, Moussa ou même Vasil.
Elle, s’appelle Marie, mais elle pourrait s’appeler Virginie, Marion, Nathalie ou Rebecca
Il a 25 ans, il est migrant. Elle en a 45 et elle est née à Paris. Dans cette histoire l’âge, la religion, la couleur de peau, le sexe et même les préférences culinaires, tout importe, car il s’agit d’une histoire d’amour.
Ils s’étaient quittés une bouteille d’alcool à la main. Il l’avait regardée partir sur son vélo. Elle lui avait souri une fois encore. Ils s’étaient quittés au bord du doute, puis ils se sont retrouvés et ils se sont aimés.
Il vint à elle. Elle ne s’y attendait pas.
Il lui dit qu’il l’aimait avec une fougue et une détermination qu’il avait peut-être apprise dans un bateau à moteur qui prenait l’eau quelque part en Méditerranée. D’abord elle n’y crut pas. Alors, il fit tout pour la convaincre de la force de son amour, de l’absolu magnifique de son sentiment. Il lui répéta encore et encore, qu’elle était son seul et son premier amour. Il s’en ouvrit à leurs connaissances communes. Il demanda à d’autres de lui en parler. Il avait peur. Il avait besoin de protection. L’amour le rendait plus fort, plus confiant. Il avait tant besoin d’elle
et elle, elle avait tant besoin que quelqu’un ait besoin d’elle.
Nul ne sait de quoi l’avenir est fait. Elle, comme tout le monde. Elle se laissa tomber dans l’absolu de son amour et elle l’aima pleinement, courageusement, avec la même détermination qu’il avait montré, avec les mêmes mots d’amour et les mêmes promesses toujours renouvelées. Ils savaient qu’un jour ils se quitteraient. Le futur n’avait pas de place entre leurs bras serrés et leurs corps enlacés. Ils s’aimaient au présent, enfin, elle le croyait.
Un jour elle partit quelques jours et quand elle revint, il n’était plus là. Pas d’explication. Elle le laissa partir sans trop de peine finalement. Elle savait qu’il devait en être ainsi. Pourtant, un jour elle voulut prendre des nouvelles. Elle lui écrivit un simple mot auquel il répondit qu’il l’aimait par chaque particule de son sang, qu’il ne pouvait oublier la force de son premier amour. Elle sut que son désespoir amoureux était encore plus profond. Elle ouvrit ses bras et son appartement et il vint s’installer chez elle. Amoureuse ! Elle était amoureuse de l’amour qu’il lui portait. Elle était fascinée par son besoin de la toucher sans cesse, de lui répéter toujours qu’il l’aimait, de vouloir lui faire l’amour tout le temps, de lui parler jusqu’après le lever du soleil, de s’offrir à elle sans retenue. Amoureuse ! Elle se souvenait qu’un jour il la quitterait de nouveau, certainement sans explication, et parfois elle avait peur de l’attachement qu’elle avait pour lui.
6 mois plus tard, c’était hier.
Il l’avait quittée de nouveau pour la troisième fois. Elle était partie dans une autre ville pour travailler et l’avait laissé seul sans l’illusion de bonheur que lui apportait sa présence souriante. Elle n’avait pas de nouvelles de lui depuis 10 jours et elle était inquiète. Alors elle appela quelqu’un qui pouvait lui donner quelques informations. Ce qu’il fit. Mais l’information n’était pas celle qu’elle attendait. L’homme lui apprit qu’Adam était marié depuis 2 ans au Soudan et qu’il aimait sa femme avec qui il échangeait quotidiennement. D’abord elle ne comprit pas. Puis elle s’est souvenue des appels avec cette femme qu’il disait être sa sœur et pour qui il avait tant d’attention. Après la sidération, vint le doute, puis la colère, puis les larmes.
En route pour Paris, dans le train à grande vitesse, elle essaya de le convaincre de la rencontrer une dernière fois. Il n’accepta pas. Elle le confronta alors au téléphone et il nia une fois encore, se mit en colère puis il raccrocha et ce fut fini.
La chute
Chacun continua sa vie.
Juste avant de le rencontrer, elle venait de se séparer de l’homme qui avait partagé sa vie pendant plus de 10 ans. Elle avait de l’ordre à mettre dans ses affaires. Elle travaillait. Elle voyait ses amis. Elle était bien sans être heureuse. Pas de grand succès mais pas de fiasco non plus pensait-elle.
Lui fut audiencé à la CNDA et obtint finalement le statut de réfugié, lui permettant de mener une vie normale en France et d’y faire venir sa femme. Il apprit le français. On lui trouva un petit logement. Et il commença à dérailler. D’abord ce ne fut pas grand-chose, juste quelques exagérations : des petits mensonges sur la réalité de sa vie, un peu trop d’alcool parfois, quelques mauvaises fréquentations. Mais doucement, lentement, insidieusement, il perdit complètement pied. Les petits mensonges devinrent sa vérité. Il délirait, aidé par la prise quotidienne d’alcool et de drogue. On le chassa de son logement. Il alla vivre dans un squat. Sa femme qui attendait de le rejoindre n’avait presque plus de nouvelles. Sa famille s’inquiétait. Si bien qu’un jour, Marie reçut un appel d’un hôpital psychiatrique de Toulouse. Adam voulait lui parler. Elle refusa. Alors le frère d’Adam la contacta depuis le Soudan. Il voulait des explications. Il la tenait visiblement responsable de l’état de son frère. Elle ne tenta même pas de répondre aux accusations, aux insultes. Elle ne pouvait de toute façon rien faire.
Il y a 3 ans, au sortir de sa seconde incarcération au Soudan, pour pensée non conforme, il s’est enfui. Il perdit sa famille, ses amis, son gagne-pain, son pays, sa femme…
Il y quelques jours, il perdit la vie en se plantant une aiguille entre les orteils dans un squat malfamé d’une ville de province française.
À 15 ans elle perdit sa virginité et depuis elle n’a jamais rien perdu…. ou presque. Ce jour-là, elle perdit pour la première fois de sa vie un homme qu’elle avait aimé et pas mal d’insouciance
Dès qu'un demandeur accède au statut de réfugié, il bénéficie de l'ensemble des droits sociaux d'un français. Contrairement aux autres non nationaux, on ne peut lui opposer la situation de l'emploi dans lequel il souhaite travailler. Il a droit au regroupement familiale sans durée minimum sur le territoire français, ni d'autres conditions. Il a droit à tous les minimums sociaux. Mais il sort alors du dispositif d'accueil des demandeurs. Il doit quitter l'hébergement qu'il occupait. Il n'a plus d'aide de l'état même minime et pour peu qu'il ait moins de 25 ans, il n'a pas droit au RSA. L'OFII, offre, certes, quelques heures pour apprendre le français, maximum 200h. Parfois, quand ils ont de la chance, une assistante sociale les aides dans leurs démarches. Mais la plupart du temps, ils sont très jeunes, ils parlent mal ou pas le français, ils ne l'écrivent pas, parfois ils n'ont pas fait d'études et même s'ils en ont fait, leurs diplômes n'est pas reconnu en France. Ils attendent depuis plusieurs mois, parfois plusieurs années, que la France reconnaisse la nécessité d'une protection internationale. Ils n'avaient pas le droit de travailler. Ils étaient mal logés. Ils vivaient tous dans une pauvreté grasse. Et un jour, le verdict tant attendu tombe : ils sont réfugiés. Enfin, ils sont protégés. Ils ont le droit de recommencer une vie normée, sans crainte, dans un pays riche et en paix. Ils attendent depuis si longtemps cette décision qui devrait leur offrir enfin une vie nouvelle et plus facile mais le premier geste de la France est de leur donner le droit au travail et... c'est tout. Bienvenue en France ! Débrouillez-vous pour travailler et subvenir à vos besoins. Bienvenue en France ! Bienvenue dans une nouvelle galère. Certains d'entre eux craquent ! Le décompensation émotionnelle est trop forte. Ils puisent dans leurs réserves depuis si longtemps en espérant et puis voilà, c'est là, et ça ne change rien.