Mai 2015
« I prefer the zero, the black one, please », ai-je dit à l’imposant steward noir du vol Paris-Philadelphie qui me tend un coca light. Forcément, il a ri et moi j’ai rougi. Ce petit lapsus fit son effet : il fut au petit soin pendant tout le vol. Parce que, les stewards sont là, pour nous servir à boire, mais aussi pour notre sécurité. C’est rassurant.
À l’aéroport de Philadelphie, nous sommes aussi en sécurité. Ici, elle rime avec surveillance. On passe des portes, on présente des papiers, on regarde des caméras, on s’avance en ligne, prudemment et en rythme puis… on recommence… 3 fois. Au pays du « Next, please », des humains au volume corporel impressionnant et presque toujours de couleur noire scandent inlassablement des : « Hurry up! Go faster ! Prepare your documents ! ». Il semble que la sécurité ait quelque chose à voir avec la vitesse d’une organisation militaire. Moi qui aime le bordel joyeux d’une arrivée à l’aéroport de Dakar, je dois avouer que tout ceci m’angoisse un peu. Mais il est vrai que je suis parfois mal adaptée à la modernité de ce monde.
Comme c’est souvent le cas dans la vie, je ne fais que passer et je repars vite vers la chaleur rassurante de la Riviera Maya. L’hôtel Cacao de Playa del Carmen propose exactement les mêmes services que n’importe quel hôtel étoilé d’une station balnéaire. C’est grand, c’est propre, c’est climatisé, il y a une piscine et du personnel serviable et nombreux. Tout ceci, je ne le découvre que le lendemain matin vers 6h, le jetlag aidant aux endormissements rapides et aux réveils matinaux.
Première étape obligatoire : la piscine au lever du soleil. Tout y est désert. La lumière est fantastique. L’eau est à la bonne température. 3 fauteuils en osier suspendus y offrent un cocon protecteur qui semble idéal pour terminer de se réveiller. Rien de mieux qu’une régression tranquillisante pour commencer un voyage. Mais voilà, ils sont impraticables. Impossible de s’y assoir confortablement, avec ou sans coussin, jambes croisées, étendues ou pendantes, on y a le dos tordu et les bras coincés le long du corps.
Au service chimiothérapie de la polyclinique d’Aix en Provence, où j’accompagne une patiente toutes les semaines, les fauteuils qui accueillent les malades sont, eux, très confortables, mais pour autant assez peu accueillants.
La ville de Playa del Carmen, fonctionne exactement comme les autres stations balnéaires : un hôtel plein d’étoiles, un Money Transfert, un magasin de souvenirs géant et très cher, un bar/restaurant à la musique préfabriquée etc…. Ici, on y fait la fête la nuit et on y dort sur la plage le jour. On s’y amuse, c’est-à-dire que l’on y boit, que l’on y boit beaucoup, que l’on y danse, souvent mal, qu’on y drague autant que l’on y boit et que l’on y a des activités sexuelles. Ici, c’est les vacances, c’est la fiesta à la playa et le sexe latex est un produit de consommation comme un autre. Je crains de ne pas participer aux activités proposées par la ville. Heureusement aux alentours, il y a plein de choses à faire.
Au pays Maya, le tourisme commence par les pyramides. Les productions des civilisations anciennes sont toujours fascinantes même sous 40° et 80% d’humidité. Les ignames sont à la fête tandis que l’espèce homme-touriste souffre dans ces ruines sans ombres. Seul refuge rafraîchissant : la mer verte des caraïbes. Heureusement qu’elle est là, la sublime, l’accueillante, la transparente ! Mais comment faisaient les Mayas avec leurs plumes et leurs sacrifices humains par cette chaleur étouffante ! Aucun guide n’a de réponse à cette question qui me semble pourtant essentielle tant je transpire dans mon bikini.
Après les pyramides de Tulum, direction une Cenote, ces très nombreuses rivières souterraines qui trouent le sol de calcaire sec et blanc de la jungle Maya. Laquelle choisir ? Il y en a beaucoup et mes informateurs ne sont pas tous d’accord. Je demande un dernier conseil au serveur de tacos à ma pause midi. Muni d’un sourire enchanteur et de yeux d’un bleu profond, il me propose sans hésitation les Cenotes Dos Ojos Azul. Sans rire !
La veille de mon départ, à la polyclinique, nous avons revu cette belle et élégante femme aux grands yeux bleus. 3 semaines auparavant, j’avais été frappée par leur couleur, relevée par le foulard bleu marine qu’elle porte sur son crâne sans cheveux. Ce jour-là nous étions 5 femmes assises dans les fauteuils confortables de la salle de chimiothérapie. 4 étaient malades et moi je faisais le clown pour éloigner les larmes. Aucune n’a donné son nom. Elles se présentaient en parlant de leur maladie : quel stade, quel protocole, depuis combien de temps. En face de nous, madame sans-gêne et sans fichu, nous confie que ses filles ne veulent plus la voir. Avec les nausées et l’impossibilité de se brosser les dents, c’est ce qui l’ennuie le plus. À notre droite Madame Résiste a gardé ses cheveux et sa tumeur qui ne répond pas au traitement. Il paraît que la peur nous fait fuir ou nous battre. Elle, elle a choisi de résister. En diagonale, la beauté calme et saisissant de la femme bleue m’attirait alors comme un aimant.
Il avait raison le serveur : le Cenote des deux yeux bleus est magnifique. Il est haut, il est profond, il est plein de couleur. C’est troublant, excitant et apaisant tout à la fois.
Ce fut alors pour moi le début d’une longue suite de rencontres animalières. Des tortues d’Akumal aux dauphins de la réserve du Xian San, je n’ai pas cessé de les pister et de les observer. Sur terre, la vie grouille sous les feuilles des palmiers. Sous l’eau, crocodiles, dauphins, lamantins et poissons colorés nagent dans l’eau limpide des estuaires et des mangroves. Dans les airs tournoient les frégates, planent les aigles à tête blanche, paradent les perroquets et voguent les pélicans.
Mamadou à la go pro étanche, Mathieu au Nikon et Mehdi aux vannes, jeunes, frais, issus de la banlieue, aux bonnes manières, amusés et amusants, se retrouvent dans le même bateau que moi pour une expédition « mangrove ». Pour eux je suis une dame, française certes, mais tout de même pas tout à fait de chez eux. Comme nous sommes coincés ensembles pour 6h de soleil dans la même mini embarcation au milieu des crocodiles et des aigles à tête blanche, nous finissons par trouver un terrain de communication valable : moi aux conseils de vielle tata et eux aux taquineries. À force, je finis par devenir une dame cool. Alors quand Mamadou découvre que j’ai vécu à Dakar, son pays d’origine qu’il ne connaît pas, je deviens une madame super cool ! Ma full expérience africaine avec travail, maison, bonne, mari et même co-épouse, les impressionnent. En répondant à toutes leurs questions, j’ai presque cru que j’allais finir par accéder au titre d’Émilie. Ils font une tentative entachée de gêne et de bafouillages pour m’appeler ainsi et se contentent alors d’arrêter simplement de m’interpeller. Quand je les interroge sur leur présence dans cette réserve d’animaux patrimoine de l’Unesco, alors que la ville leur propose des activités qui me semblent coller avec leurs 20 ans d’âge, leur réponse est très claire : « Les animaux c’est trop bien, surtout là, normal dans la nature. Si tu ne vois pas d’animaux comment tu sais que tu es en vie ? » Je suis d’accord, tout à fait d’accord ! Nous nous séparons en nous remerciant mutuellement.
Madame Souris est toujours accompagnée de son mari protecteur et dévoué. Son corps minuscule et asséché par les traitements ne semble pas pouvoir se tenir sans son tuteur-mari. En les voyant, celle que j’accompagne me dit : « c’est touchant », au moment exact où je me dis : c’est effrayant. Pourtant je suis également d’accord avec elle.
Madame Tulipe lutte depuis 6 ans contre un cancer qui repousse et qui repousse et qui repousse et elle, elle repousse le moment de mourir. Quand je lui demande si on s’habitue à l’idée de la mort, elle me répond : « non ! L’an dernier ma mère est morte et ce fut atroce ». Mais elle arrive à l’oublier la maladie en faisant des films et des photos.
Pour ma dernière soirée, Omar E. le biologiste d’une des réserves d’animaux, m’accompagne. Nous avons eu un désaccord sur le rôle des carapaces de tortues, quant à leur place dans l’évolution. C’est dire si nous avons à partager : une bière, quelques tacos, une balade sur la plage, une fiesta d’étudiants américains, une baignade dans la piscine et des photos de Paris. À la piscine, je lui propose les fauteuils mais lui non plus ne sait pas s’en servir. La preuve en est faite, ces cocons d’osier n’étaient que des leurres de réconfort. Nous nous réfugions dans mon immense chambre climatisée et nous commençons à regarder des photos de baleines de mon voyage au Canada. Omar est parti vers 4h du matin sur un long et tendre hug. Je ne savais pas alors que je le reverrai.
À mon retour en France, le lundi 4 mai, vers 11h, Yahouda Benchimol me donna les résultats de ma biopsie.
3 fauteuils se balancent près d’une piscine.
Dans les aéroports du monde entier, des agents aux volumes impressionnants s’occupent de préserver notre sécurité.
Nous croisons des regards bleus et la joie apaisante des Mehdi, Mamadou, Mathieu, Omar de ce monde.
L’amour et l’amitié protègent de tous les maux paraît-il, mais, je ne pus m’empêcher d’avoir peur.
Le 3 mai au matin, un ami cher, très cher, quitta la vie d’un coup, assis sur un fauteuil après avoir mixé de la musique toute la nuit. Le lendemain, j’ai su que ma biopsie était négative. Une semaine plus tard, la personne que j’accompagnais, sortait en quasi rémission de la polyclinique d’Aix en Provence.
Mai 2017.
Soudainement il s’est mis à pleuvoir. Pas beaucoup, mais assez pour que ce soit surprenant et que la mer des Caraïbes prenne une teinte que je ne lui avais jamais vue. Le bleu vert naturel s’était transformé en un gris mordoré sur lequel apparaissaient des tâches de soleil vexé d’être ainsi mis à l’écart. Avec la pluie, les jet skis se sont tus. Les enfants sont sortis de l’eau et un calme inhabituel a saisi l’ensemble de la longue plage de sable sur laquelle je prenais un petit déjeuner tardif à base d’œufs aux piments de jus de fruit frais.
J’ai senti le décalage horaire faire son effet. L’esprit voyage toujours plus vite que le corps. Il est souvent à la traîne celui-là. Si mon estomac suppose que j’en suis au goûter, plus haut, du côté du cerveau, je suis d’accord avec moi-même : je débutais ma première journée de mon second voyage à Playa del Carmen.
La veille, tard dans la nuit, en arrivant chez Omar E. après 22h de voyage porte à porte, je me suis contentée de le serrer dans mes bras et de m’endormir dans son lit, à peine dévêtue. Au matin, il avait disparu, se rendant, comme tous les jours, à son job de prof de plongée pour touriste en quête d’émotions, me laissant ainsi tout loisir d’explorer sa petite maison. Vous êtes-vous déjà réveillé chez un-e presque inconnu-e, qui disparaît en vous laissant les clés et un baiser sur le front comme bénédiction aux fouilles que vous allez, bien sûr, effectuer ? Si ce n’est pas le cas, tentez l’expérience! C’est assez divin. Un mélange de gêne, de pudeur, de curiosité, de transgression et de découverte. Si en plus ça vous arrive à Playa del Carmen, vous serez accompagné par le chant d’oiseaux exotiques aux noms de paradis.
Tout était lumineux, la température était idéale, le calme de la rue aussi. Ses placards étaient bien rangés. Il ne cachait rien. Tout était visible, tout était clair, comme son sourire et son regard. Ce n’était même pas décevant. Il ressemblait à ce qu’il est et c’est tant mieux. Il m’avait laissé un mot sur un grand cahier avec le code Wifi, l’emplacement du bus, celui de la supérette et 850 pesos pour tenir jusqu’à ce que je trouve un bureau de change. En feuilletant le cahier, j’ai découvert qu’il dessinait, plutôt bien, et qu’il apprenait le français. Face à l’inscription : je me suis trompée -> me equivoqué, au-dessus du dessin d’une femme qui pourrait être moi, je me suis demandée, comment j’en étais arrivée à me réveiller dans le lit d’un homme que je n’ai vu qu’une seule fois, 2 ans plus tôt, de 10 ans mon cadet, habitant la banlieue d’une ville inconnue à 22h de voyage de chez moi.
Omar m’avait promis une surprise le soir même.
« Quand tu m’as invité en France, tu m’as montré ton Paris », m’a t-il dit. « C’est donc à mon tour, maintenant ». D’accord, j’étais absolument d’accord pour une surprise, surtout que je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait être. Omar est un garçon très sage, sportif, souriant, travailleur, sans aucune addiction. Je ne craignais que l’ennui, bien qu’Omar et moi ayons un sujet de discussion sans fin : la vie animale. C’était d’ailleurs ainsi que nous nous étions rencontrés, il y a 2 ans, lors de mon premier séjour au Mexique. J’étais censée participer à un festival de cinéma, mais bien vite, découvrant la faune environnante, je m’étais désintéressée des projections. Dès le lendemain matin de mon arrivée, je m’étais rendue au zoo. Omar y était guide et nous avons passé l’après-midi à parler de la place des carapaces des tortues quant à leur évolution, des prouesses de langage des perroquets et en particulier de celui dont il était le soigneur, des nouvelles fermes d’élevage de crocodiles dans cette région… pendant 5h. C’est pour ça que je ne fus pas vraiment surprise, quand je suis tombée nez à nez avec un aigle femelle apprivoisée là où nous étions attendus. Je n’étais pas surprise mais j’étais ravie tout comme Omar et le propriétaire de l’aigle.
Nous étions dans une grande maison de plain-pied cernée d’une cour recouverte de bougainvilliers en fleur et munie d’un grand abri pour protéger un 4×4 rutilant de rouge et de dessins de flammes. Sur la terrasse du fond, il y avait des tables qui accueillaient déjà plusieurs mexicains, hommes et femmes, affairés à crier en lançant des dés ou des cartes. Omar me dit avec son sourire habituel : « j’espère que tu aimes jouer ! ». Nous étions donc dans une sorte de tripo ! Omar le sage petit garçon aux rêves simples et à la vie tranquille prit, d’un coup, une toute autre dimension.
C’était donc ça la surprise !
Mon imagination est partie en flèche vers un film des années 30-40. Omar en costard blanc, un cigare cubain aux lèvres, le regard ténébreux et le sourire rare mais ravageur, debout devant une table à roulette. Moi, à son bras, dans une robe à paillette droite, dorée et au décolleté dans le dos fabuleusement long, le regard hautain de la femme qui se sait désirée.
Mon rêve s’est tari face à la réalité du lieu : des affiches de Marvel, des mugs super héros, des boîtes de jeux de rôles, un Monopoly, un Scrabble, un frigo rempli de Coca et autre Fanta, une jeune mexicaine habillée comme une écolière japonaise, une collection de figurines Star Wars, et, dans la cuisine, une femme âgée qui faisait la vaisselle. Tout comme Omar, son ami avait la jeunesse sage. Son seul péché était d’avoir monté son propre petit business, le samedi soir dans la maison familiale. De jeunes nerds y venaient, parfois de loin, pour y jouer sans miser d’argent et sans boire d’alcool, au milieu des affiches et figurines de leurs héros d’une Amérique du nord inaccessible, tandis que la mère attentive lavait leurs verres en silence. J’ai fait comme les autres : je me suis assise, j’ai pris les cartes, j’ai appris les règles et je me suis mis à jouer en m’amusant follement au son d’une musique improbable, faite de mélodies de tubes internationaux joués au piano type Bontempi. Nous sommes rentrés tard et hilares, le rire protégeant très bien de l’effet jetlag.
Pourtant, je me suis réveillée au son des oiseaux avant 6h. Omar dormait au salon. Je l’ai regardé en passant prendre un café puis j’ai laissé mon esprit vagabonder entre Paris et ici, maintenant et avant et, pour tuer le temps, je me suis inventé un futur radieux, plein de promesses, dans lequel j’atteignais une sorte d’immortalité à force de bonheur. Puis le réveil de Omar nous a tous les deux rappelé à la vie. Deux cafés et deux bananes plus tard, nous nous sommes mis en route, lui pour aller bosser et moi pour aller écrire au café, les pieds dans le sable et l’œil sur la verte mer des caraïbes.
Après Omar, c’était la seconde bonne raison pour laquelle, j’étais ici. La plage ! La mer et ses habitants ! Ils sont nombreux, à Playa del Carmen, les habitants du sable et du soleil.
Il y a les fameuses tortues d’Akumal. Les poissons presque transparents qui réclament à manger en pinçant les touristes amusés bien qu’un peu effrayés. Quelques gros serpents de mer, très peureux, que l’on ne peut trouver que tôt le matin. Et puis, il y a des oiseaux marins qui plongent profondément dans la mer émeraude. Ceux-là je les aime beaucoup, ils sont majestueux, surtout les aigles à tête blanche. Quelle grâce ! Je ne m’en lasse pas. Et puis, bien sûr, il y a tous les autres, ceux qui marchent sur deux pattes, qui parlent bruyamment et qui mangent plus que nécessaire : des américains grands, gros et gras, souvent tatoués, des mexicains encore plus gros et plus tatoués, des européens habillés en Zara et/ou Quechua. Tous ensemble réunis autour du même manège de la baignade suivie d’un bronzage intensif. Je les aime bien aussi mais pas parce qu’ils sont majestueux.
À ma gauche, trois français d’environs 30 ans, parlaient de technique de drague avec autant de délicatesse qu’une vieille maquerelle. Selon eux, les femmes aiment qu’on regarde leur corps avec envie parce qu’elles se sentent plus belles. Si on veut être certain d’avoir des relations sexuelles, il faut donc trouver une femme un peu moche mais la regarder comme si elle était la plus désirable du monde. Le plus difficile, visiblement, c’est de tomber des danseuses, parce qu’elles savent ce que vaut leur corps. Donc il faut leur parler et alors c’est un problème. Pourtant, très clairement, ils n’étaient pas muets !
À ma droite, des américains se moquaient de l’inefficacité du service dans leurs hôtels. Je comprenais un mot sur deux, mais j’étais d’accord avec eux, moi qui suis française, il faut savoir être mécontent pour apprécier ses vacances. Make sense !
Finalement, j’ai regardé la mer et je me suis souvenue que j’avais marché sur cette plage, à la tombée du jour, il y a 2 ans avec Omar bras dessus, bras dessous, et, que nous nous étions arrêtés pour regarder les étoiles briller dans l’eau. C’était magnifique. Il m’avait ensuite raccompagnée jusqu’à ma chambre. Ce souvenir me fit sourire. 2 ans plus tard, j’étais chez lui, en banlieue de Playa, dans une petite maison avec une courette.
Pour aller de chez lui à la plage, il fallait traverser le quartier aux maisons colorées tout équipées d’une voiture façon tuning parfois rose, parfois verte, parfois aux couleurs du drapeau américain. Les voisins me saluaient quand je filais attraper le Collectivo qui, en 20 min, me déposait au centre truffé de touristes. Les tacos y coûtaient 5 fois moins qu’au centre, et personne ne parlait vraiment anglais mais on entendait de la mauvaise musique jusqu’à tard dans la nuit. Ils avaient des chats tranquilles et câlins et moi, je m’y sentais encore mieux que dans un hôtel étoilé de la station balnéaire.
Comme Omar travaillait tous les jours, je m’occupais en allant le plus souvent possible mettre tout, ou partie de mon corps, dans l’eau. Eau salée de l’océan, eau claire des rivières souterraines ou eau de pluie torrentielle qui arrive sans prévenir et repart aussitôt, nous laissant trempés mais rafraîchis. Elle ne manquait pas ici : bleue, verte, noire parfois, profonde, clémente, accueillante, terrifiante, purifiante, en colère, en douceur, en fraîcheur…bref, comme tout le monde, je l’aime sous toute ses formes.
C’est dans un bus à destination d’une plage sublime et ses ruines Maya environnantes que j’ai rencontrée Sab. Elle discutait à haute voix avec deux voisins français quand j’y suis entrée. Ils faisaient connaissance en râlant à grand renfort d’anecdotes les plus désagréables possible. Elle était maquillée. Elle avait la bouche refaite et les seins un peu trop hauts. Elle portait un minimum de tissu qui laissait voir sa peau bronzée sous des tatouages nombreux.
Une fois à la plage, Sab m’a annoncé qu’elle n’avait pas de maillot de bain. Elle ne portait qu’un string et un soutien-gorge sous sa mini combi short. Comme j’avais très envie de voir les tatouages cachés sous la dite combi, je lui ai proposé de partager mon propre maillot. Je gardais ma culotte et je mettais le haut, tandis qu’elle prenait le bas et gardait son soutien-gorge. « Deal !» s’est-elle exclamé. Si le corps de Sab est refait, son esprit est d’un étonnant naturel. Me voilà donc dévêtue derrière un bout de rocher avec une femme qui met ma culotte et me parle de son épilation de « chatte intégrale ». Nous sommes ensuite entrées ensemble dans l’eau, moi en culotte boxer noire et en haut de maillot rose fuchsia, elle en culotte rose et avec un soutien-gorge qui n’en a que le nom, tellement il ressemblait à un accessoire de beauté et qu’il était absolument incapable de soutenir quelque chose. « J’ai des suspensions en silicone intégré » a t-elle lâché dans un sourire trop blanc pour son âge.
Nous discutions nudité ensemble, en découvrant que la moitié des femmes de la plage étaient en string, et Sab hésita à me rendre ma culotte. Mais finalement, je crois qu’elle a préféré garder un truc pour avoir les fesses au sec pour aller déjeuner. Parce qu’ici, comme au Brésil, si les seins nus sont interdits, les culs peuvent prendre l’air et l’eau. Les femmes exhibent leurs fessiers dans des strings ficelles des plus déroutants, même pour moi. Putain, c’est sexy ! Presque autant de Sab !
Elle rit, souvent, à grand bruit. Elle m’appelle par plein de prénoms rigolos. Elle parle avec tout le monde. Elle se remaquille après la baignade, le repas, la balade. Elle semble être l’esthéticienne la plus superficielle de France. Mais dès qu’elle parle, elle est d’un naturel déconcertant. Elle dit, toujours, tout ce qui lui passe par la tête en se moquant d’elle-même et des autres avec finesse. J’aime les gens qui ne sont pas ce à quoi ils ressemblent et elle, je l’aime vraiment bien !
De retour chez Omar, il m’attendait avec une autre surprise. Il aime bien les découvertes et les expériences nouvelles ce garçon si bien élevé. Il s’agissait d’un billet d’entrée pour le parc aquatique où il travaille, avec, entre autres attractions, un spectacle pour touristes sur l’histoire et la culture du Mexique. Il dresse des requins et des raies Manta pour qu’ils nagent tranquillement avec des humains rassasiés (comme ces animaux domestiqués) de tout, sauf d’émotions fortes. C’était visiblement important pour lui. Quand je l’avais invité à venir à Paris, j’avais pris en charge son billet et son hébergement contre quelques services sur un festival. Passé la semaine de boulot, il était resté un mois à se balader en France et en Europe et il voulait me rendre la pareille. Il était ravi de me faire découvrir sa maison, son job, ses amis, ses habitudes. J’ai donc accepté de très bon cœur d’y aller et, le soir, nous avons assisté au « Main Show » du parc aquatique touristique.
Saviez-vous que les mexicains dansent le flamenco ?
J’avais déjà vu plusieurs fois des fameux Mariachis, tout en longueur et en cambrure. Je connaissais les tissus colorés et j’avais entendus parler des pinatas. Dans mon imaginaire, le Mexique est un pays truffé de petits Mayas trapus et d’espagnols à faces rondes plus ou moins grands et plus ou moins blonds, qui mangent des tacos fabuleux sur des chevaux. Ils ont des soucis d’obésité. Ils fabriquent à la chaine des Novelas et des Cartels de la drogue, qui sont appréciés dans le monde entier. Le pays oscille entre plages magnifiques et déserts, tout aussi magnifiques mais bien moins accueillants.
Dans ce spectacle, il y avait des Maya emplumés et des conquistadors casqués immanquablement suivi par un homme d’église. Les seconds gagnent sur les premiers et installent des croix en bois, jusque dans les totems des primitifs. Mais du coup, c’est génial, parce que grâce à ça, le Mexique est devenu ce qu’il est aujourd’hui, à savoir un savant melting-pot dans lequel, bien sûr, tout le monde s’entend et trouve sa place en dansant sur des musiques traditionnelles des différents coins du pays, comme les Mariachis ou les Marimbas. J’étais donc tranquillement en train de m’assoupir à côté d’Omar qui dormait déjà, quand, j’ai vu entrer sur scène des femmes en longues robes à volants blanches et des hommes également en blanc mais en pantalons très serrés. Ils étaient beaux. Ils se sont mis à danser d’abord sans musique en tapant du pied : plat, pointe, pointe, talon, plat, plat, plat, ensemble et de plus en plus rapidement. C’est tout à fait du flamenco ça. Non ? Croyez-moi c’en est ! Mais dans une version, souriante et gaie.
À Grenade, à Séville, des corps douloureux mais fiers s’enlacent sans pudeur avec des voix si profondes, qu’elles étirent toujours plus loin leur son dans une douleur sans fin. C’est beau ! Ça tire des larmes ! Ils sont à la porte de l’enfer, en transe, pour la rédemption de leur âme, depuis longtemps déjà, torturée. Ici, ils entassent des plateaux sur leur tête, sur lesquels sont posés des verres d’eau et ils dansent : tape tape tape tape sans rien faire tomber et en souriant. Ils dansent ensemble puis seuls et finalement une guitare mais également une trompette et quelques percussions mettent en musique le joli balai. Vous me direz alors qu’il ne s’agit pas de Flamenco mais d’une autre danse qui en imite les pas ? Et vous auriez possiblement raison. En tous les cas, qu’elle soit tirée des larmes de douleurs d’amants et des morts, qu’elle soit dansée avec ou sans verre dans la joie, si les pieds bougent, si les jambes sautent, le buste reste droit et tous gardent la tête haute et fière.
Omar m’a dit hier soir qu’il avait envie de partir, de vivre dans un autre pays, de tenter sa chance ailleurs. Il m’a dit qu’il aimerait rencontrer une femme européenne qui l’emmènerait loin de chez lui. Nous avons discuté longtemps et avec précision. Je lui ai raconté les autres. Je lui ai parlé des choix et des opportunités, de justice et d’injustice et de pleins d’autres choses en un monologue qui s’est terminé par « il est parfois impossible de vivre au milieu d’étrangers ». Je ne sais pas si j’ai raison de lui avoir dit ça, mais je sais que vivre loin de chez soi, contraint ou pas, ce n’est pas possible pour tout le monde.
Deux avant, nous avions passé une soirée à rêver d’étoiles et de voyages, puis il était venu en Europe et nous avions passé quelques jours chez moi à Paris à nous balader et à parler d’avenir et d’espace. Ce soir-là chez lui, nous avons de nouveau parlé tard dans la nuit de départ et de promesse. Mon jeune ami Omar, le sage, le placide, le souriant voulait quitter son pays et pour ça il devait tomber amoureux.
Après les contrôles de sécurité exigés par Homeland, je me suis envolée vers cette Amérique du nord que les amis de Omar voudraient tant atteindre. L’avion était vide. À peine 30 personnes pour ce Boing 737 d’United Airline qui fait la navette cinq fois par jour entre Cancun et Washington. Les stewards démunis erraient dans les allées, espérant qu’un passager les appelle. Mais tout le monde dormait. Tout le monde dormait, y compris moi. Un rêve m’a transportée dans une ville aux maisons blanches brulées de soleil avec des oiseaux agressifs qui hurlaient autour de moi, alors même que je ne pouvais pas les distinguer. Ce n’était pas pour autant effrayant, c’était simplement agaçant. C’est alors que Omar est arrivé avec un grand Aras rouge et vert sur l’épaule. Il était immense dans le contre-jour et il marchait vers moi en souriant. Tous les oiseaux ont alors disparu, y compris le perroquet et je me suis mise à courir, terrifiée par le calme qui s’en suivit. Il me fallait fuir alors même que le danger était passé et que mon ami était là près de moi, rassurant et souriant. Je me suis réveillée en sueur, avec une grosse fièvre à 15000m d’altitude. Je n’ai absolument aucune idée de ce que peut bien vouloir signifier ce rêve étrange, mais ce qui est certain, c’est que j’espère bien que Omar trouvera le moyen de se sentir bien avec ce qu’il a.
J’atterris à l’aéroport de Washington Dulles. Demain c’est Thanksgiving. Ça sera le premier Turkey Day de ma vie ! Je suis comme tout le monde, j’aime bien les premières fois quand elles ne sont pas médicales.
Fin juin 2019. Mairie de Saint Mandé.
J’assiste au mariage d’Omar et d’Émilie B. en présence de toute leur famille. On dirait que finalement le rêve de mon jeune ami s’est réalisé. Ils se sont rencontrés quelques mois plus tôt, au parc aquatique où travaille Omar. Émilie était venue nager avec les requins. Omar l’y a accueillie, guidée, lui a tenu la main, lui a souri, tant et si bien qu’elle lui a laissé son contact. En rentrant chez lui, Omar a égaré le précieux bout de papier contenant les bonnes informations. Mais Émilie B. qui avait de la suite dans les idées et, lassée d’attendre des nouvelles du doux Omar qui la faisait tant rêver, a envoyé un cousin en vacances au Mexique, direction le parc, pour rappeler à l’ordre l’élu de son cœur. Omar a alors pris la mesure de l’amour et des possibles que lui offrait cette jolie française portant le même prénom que moi et il s’est lancé dans l’aventure. Il aime les découvertes. Espérons que son immigration lui soit aussi douce que sa vie auprès d’Émilie.
Il est possible de se marier avec un étranger en France. Les documents à fournir sont à peine plus nombreux que si l'on se marie avec entre français. https://www.mariages.net/articles/demarches-administratives-pour-un-mariage-entre-un-francais-et-une-personne-etrangere--c5162 Une fois le mariage déclaré, le conjoint étranger à droit à un titre de séjour vie privée et familiale d'un an si le couple peut attester de 6 mois de vie commune sur le territoire français. Article L313-11 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; Après cette première année, le conjoint étranger$ Ce titre sera renouvelé en un titre de 4 ans si le mariage est toujours d'actualité puis en 10 ans. Mais il peut aussi demander une nationalité française par acquisition. L’étranger marié à un français peut devenir français en faisant une déclaration à la préfecture (Art 26 du code civil) ou bien auprès du consul de France si le couple réside à l’étranger. L’acquisition sera accomplie par l’enregistrement par le ministre de l’intérieur dans l’année de la déclaration avec un effet rétroactif à la date de la déclaration par le postulant. Les conditions : mariage au moins 4 ans (parfois 5 ans) avant la déclaration. Les époux doivent avoir une vie commune à la date de la déclaration. Le candidat doit aussi parler assez bien français.