Le mystère de la vache en pot

Dans le wagon-restaurant du TGV n° 8729 qui l’emmenait vers les montagnes Cévenoles, La Vache en Pot rencontra Erika et Pauline. Les deux filles l’invitèrent à partager leur repas et un moment de confidences. Elles se racontèrent leurs vies à tour de rôle dans ce train bondé de vacanciers munis d’enfants bruyants et de valises en très grand surnombre.

Pauline, jeune femme en devenir, cherchait encore son chemin dans les méandres de la vie professionnelle. Tandis qu’Erika y avait déjà goûté assez longtemps pour se lancer dans une reconversion totale. Incertain et instable, ainsi va le monde du travail aujourd’hui.
La Vache en Pot était ravie de ne pas voyager seule. Elle, qui, comme toutes ses semblables, avait plutôt l’habitude de les voir passer, craignait un séjour prolongé dans ces habitacles clos que sont les wagons climatisés. Elle quittait Paris pour retrouver ses cousines au cœur des Cévennes et espérait que la vitesse soufflerait le stress et les mauvais souvenirs qu’elle laissait là-bas.

Forte de cette belle rencontre, elle attaqua le voyage en car avec plus de sérénité. Il faut dire que la route était longue et sinueuse et les amortisseurs du vieux bus jamais révisés. C’était un exercice de contrôle de soi extrême ce voyage de 2h constitués exclusivement de virages, de bosses et de mauvaises musiques provenant de hauts parleurs aussi âgés que le bus et ses amortisseurs.

Avant de retrouver sa cousine préférée, Jocelyne, et ses amis Nabila et Ching, elle s’offrit un moment de détente seule à la rivière. Rien de tel qu’un bain glacé pour se rappeler combien le soleil réchauffe la vie. Une petite séance de bronzage et un passage au marché plus tard, elle était fin prête pour revoir ses trois compagnons.

Jocelyne avait longtemps brouté pour une grosse entreprise de production de produits laitiers au marketing « BOBO ». Elle menait une belle vie d’exécutive woman-vache : grand pâturage, taureau de compétition, cloche en véritable acier inoxydable changée tous les ans. Mais l’herbe semble parfois plus verte ailleurs quand on la regarde avec les yeux de l’envie. La vie de Jocelyne, que beaucoup aurait désiré mener, lui pesait de plus en plus. Un jour à l’occasion d’un séminaire sur les nouvelles techniques de transhumance sans douleur dans les Cévennes, ce fut la révélation. Jocelyne comprit quelle était sa place en ce monde. Elle s’était toujours sentie mal dans sa peau, à côté, un peu différente, autre. Maintenant elle comprenait. Elle était, en fait, un âne enfermé dans le corps d’une vache ! Elle quitta tout : taureau, vertes prairies et partit s’installer dans les montagnes pour commencer sa transformation et débuter le long chemin vers sa vraie nature. La Vache en Pot qui aimait Jocelyne l’avait soutenue depuis le début et la retrouvait chaque année pour quelques moments de grands plaisirs.
Elle n’était pas la seule, d’ailleurs, à la soutenir, leur grande amie Nabila, était également présente depuis le début. Nabila était née dans une exploitation surpeuplée du nord parisien. On y parquait par millier des vaches issues de l’immigration et des classes populaires. Elle n’avait jamais connu les verts pâturages et les cloches en acier mais la traite à temps partiel et les longues heures passées dans les camions de transports pour aller brouter. C’est d’ailleurs au cours d’un de ses voyages qu’elle avait rencontré Ching, son koala de mari. Depuis peu de temps en France, son accent et ses manières étranges avaient conquis Nabila, qui vit en lui la possibilité d’un ailleurs chantant.

Les retrouvailles furent bien joyeuses, là-haut sur la montagne à l’heure de la douce lumière où les cœurs se font plus tendres et les âmes plus rieuses.

Le lendemain matin, La Vache en Pot se réveilla un peu étonnée de se sentir plus légère. Elle avait le sentiment étrange, mais pas désagréable, d’être si ouverte qu’elle en était presque vulnérable.
Ça doit être l’air pur des sommets, qui me fait tourner la tête, se dit-elle. Et puis les vacances, ça détend.
Mais en arrivant dans la salle de bain, oh stupeur ! Elle réalisa qu’elle avait perdu son couvercle !
Voilà pourquoi, elle était plus légère. Il lui manquait la moitié de la tête.
Oh oui, elle était bien ouverte, ouverte aux quatre vents, oui !

Branle-bas de combat, il fallait absolument retrouver ce bout de rien d’elle-même qu’elle avait laissé traîner, on ne savait où.

La petite bande se mit en route. D’abord en tracteur pour descendre à la rivière, puis en bateau pour en explorer le fond et ensuite en tronc d’arbre pour prendre de la hauteur et revoir les sommets de leur retrouvailles. Rien, rien, rien nulle part !

Fourbus, ils s’accordèrent un moment de répit au soleil avant de reprendre les recherches.

Comme dans toutes les quêtes, qu’elles soient personnelles ou héroïques, il vient le temps de se faire aider. Ils décidèrent que c’était maintenant.
Ne sachant pas par où commencer, ils allèrent au plus court et se dirigèrent vers leurs voisins : une bande de canards protestants orthodoxes faussement joyeux qui se réunissaient chaque année pour fêter la naissance de cette pauvre femme qui connut la grossesse sans avoir l’orgasme et que le monde appelle Marie. (En y repensant avec toute la technologie actuelle, elle n’est plus la seule – NDA). Tous semblables, d’abord à eux-mêmes, et entre eux, ils répondirent du bout des lèvres, qu’ils prieraient pour eux mais que La Vache en Pot et ses acolytes devraient plutôt aller voir la police humaine.

Mais bien sur, pourquoi n’y avaient-ils pas pensé plus tôt. Le crocodile-inspecteur, avait fait ses armes dans les polices afrikaners du Cap. Il devait forcément avoir de bon résultat. Celui-ci les envoya chercher des informations auprès d’un jeune poulet receleur récemment arrêté. Jocelyne accompagna La Vache en Pot en prison pour l’interrogatoire. Le poulet ne savait rien de cette histoire. Mais elles apprirent qu’une bande de hippies sympathiques et doucement paumés pouvait avoir trouvé l’objet et, dans un délire étrange de recyclage, aurait tenté de le transformer en un nouvel objet inutile mais fait main.

La bande de Baba cool hétéroclite avait élu domicile dans les prairies en flan de montagne. Venus pour la plupart d’assez loin et souvent de la ville, ils étaient tous en quête d’eux-mêmes dans une démarche individualiste de développement personnel. Dignes enfants de la seconde révolution industrielle, ils partaient du principe que tout vient de soi, et du profond de soi. Ils cultivaient ainsi toutes formes de travail intérieur avec force et conviction afin de se sentir plus en phase avec le monde et de pouvoir donner plus à la communauté. La Vache en Pot qui venait, elle, d’un milieu encore communautaire, ne comprenait pas, comment le désir personnel pouvait prévaloir sur les besoins du groupe, mais elle était ravie de mieux comprendre les motivations de son amie Jocelyne.

Elle parla à tous et à chacun et tous et chacun lui indiquèrent le Pingouin-Guérisseur.

Il venait de loin pour guérir les âmes. Il venait du sud, encore plus au sud, celui où finalement il fait si froid. Mais les saisons étant devenues folles, le pingouin perdit lui aussi un peu la raison. Et, tout déboussolé, il prit le nord pour le sud et s’égara en hauteur. C’est là qu’il apprit à soigner les autres en se soignant soi-même. Les portes de la folie nous en apprennent beaucoup sur la nature humaine et ses méandres effrayants. Le Pingouin l’avait compris à ses dépens et il recrachait son savoir au service de la communauté avec ferveur. Il passa la soirée à conseiller La Vache en Pot pour qu’elle apprenne à vivre avec le manque. Il lui rappela que nous ne sommes que mal armés face à la perte. Et puis, il lui conseilla de se pencher sur le présent, son présent, de prendre soin d’elle et des autres. Ses paroles étaient douces et rassurantes et ils finirent par s’endormir auprès du protecteur Pingouin-Guérisseur.

Après une nuit agitée de cauchemars sans fin dans lesquelles La Vache en Pot était à la fois pourchassée et sans défense aucune. Elle se réveilla totalement apeurée et en sueur dans une grosse flaque d’eau. La pluie avait pris d’assaut le ciel qui ressemblait ce matin à une espèce de cloche grise et basse. Cette idée lui rappela son propre couvercle et elle se sentit bien découragée. La journée d’hier n’avait rien donné et les conseils du Pingouin-Guérisseur, sonnaient tout à fait creux à cette heure de peine et de tristesse. Ses larmes se mêlèrent aux gouttes de pluie. Ses trois amis ne savaient comment faire pour la consoler.

Le Pingouin tout joyeux de retrouver un peu de fraîcheur et d’humidité, jouait gaiement dans l’eau. Ils sentirent qu’il était temps de rentrer chez eux.

Le retour fut long et silencieux. Le temps n’aidait pas à la bonne humeur. La Vache en Pot que la déprime gagnait, n’ayant pas la force d’autre chose, décida de passer la journée au lit.
En entrant dans sa chambre qu’elle avait quitté 24 h plus tôt, elle découvrit juste au sortir de son lit qu’elle n’avait pas pris le temps de faire… son couvercle ! Il était là, attendant sagement mais avec inquiétude son retour afin, enfin, de la compléter et de la protéger pour toujours.

Ce furent des larmes de joie que La Vache en Pot laissa alors tomber. Elle était de nouveau entière ! Le grand manque était comblé ! Son avenir de nouveau plein de possibilité et de courage, elle décida de fêter ses retrouvailles avec elle-même. Elle venait d’apprendre qu’après le beau temps, vient la pluie qui nous rend à nos couvercles.

Comme fin heureuse, elle organisa une grande fête entre amis.
Oui, parfois, les histoires qui finissent bien se terminent ainsi, sans mariage et sans enfant mais avec musique, danse, joies et beaucoup de rires.

Jocelyne a maintenant terminé sa transformation et passe des jours heureux d’ânes dans les Cévennes.
Le Pingouin-Guérisseur a retrouvé le sud et il est rentré chez lui
La bande de Hippies s’étoffe et s’auto-entretient consciencieusement
Le crocodile disparu bizarrement à la suite d’une visite d’un ami légionnaire
Nabila et Ching eurent beaucoup d’enfant
La Vache en Pot est rentrée chez elle et souhaite à sa mort être recyclée.

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