La Réunion : voyage au Paradis
L’arrivée
Certain nous dirons que le Paradis ça se mérite. D’autres, que plus tu en chies, plus tu as des chances d’y aller (pas étonnant que les clubs SM rencontrent un si franc succès).
Pour atteindre celui où je me rends, il faut 11h d’avion bondé sous hautes turbulences. Effectivement, tu en chies ! Normal ! Au bout de 4h tu as les pieds qui ont doublés de volume et les genoux qui réclament fermement d’être dépliés. 1h après ton coccyx est en feu et ta vessie ultra pleine. Avec les turbulences tu ne peux ni dormir, ni aller aux toilettes. À 8h de vol, bien malgré toi, tu viens de reprendre contact avec ton squelette. Et, bien sûr, tu finis par t’assoupir au moment de l’atterrissage.
Vous le saviez déjà je n’aime pas l’avion et je n’ai jamais compris pourquoi le kiff devait se mériter. Mais bref, je ne pratique aucune forme de sado masochisme et je suis arrivée saine et sauve à La Réunion. Pour cette journée, fatiguée, le paradis pourrait ressembler à la case de la mère de ma chère amie Sarah Terrisse.
La Création
Au départ était la Pangée.
Le super continent du début des temps, un jour, s’est fissuré. Alors brisé, il s’est désolidarisé et chaque morceau est parti vivre sa vie à l’autre bout du monde. Chacun sur sa plaque tectonique, ils ont dérivé de rifts en abysses sur les océans fraichement apparus. Certains d’entre eux ont alors croisé la route d’un des 5 points chauds que porte la terre. En ces points, malgré les océans, des profondeurs de la terre s’échappe du magma en fusion. Sorti de son univers originel et au contact de la surface de l’eau, il se fige en panache montant vers la surface pour créer une nouvelle île volcanique. Et comme rien n’arrête le mouvement des plaques à travers le monde, ces points chauds forment des îles en alignement. Sans surprise La Réunion, les Seychelles et Maurice ont été engendrées par le point chaud de l’Océan Indien.
Donc premier constat, au Paradis, il fait chaud.
Et il pleut aussi. Hier, nous avons pris notre petit déjeuner sur la terrasse, au son des gouttes sur le toit de tôle, nous sommes allés visiter des amis sous le ciel gris, puis ce fut la baignade sous la pluie, le concert de musique créole et orage et pour finir restaurant et boîte de nuit sans étoile. Mais, au Paradis la pluie est fraîche, agréable et bienfaisante.
Deuxième constatation, le Paradis est fait de végétation fermement luxuriante, de fourmis voraces, de tôles ondulées, de belles voitures et de gens heureux.
Aujourd’hui, il fait très beau, les nuages sont partis et nous allons voir le reste du point chaud : le Piton de la Fournaise et son magma issue du centre de la terre.
Le Feu
Au Paradis, le feu est en hauteur et se nourrit de nuage.
Au Paradis, le feu est au centre et il faut grimper pour y accéder.
Nous sommes courageux aujourd’hui sous le soleil de La Réunion. Chaussures de marches, brassières, bouteilles d’eau et dattes, nous avons marchés pour rendre hommage au feu qui vit au centre de La Réunion. Nous avons eu raison : c’est majestueux.
Tout là-haut, après la barrière de nuages qui abiment les tôles des toits, il apparaît tel une humble colline bicolore. C’est alors que commence la marche vers lui. En rond d’abord sur les plats remparts qui le bordent, puis en descendant le long des falaises d’effondrement à la végétation effrontée. Et enfin, sur les coulées de laves noires successives. Il est là, tout prêt, face à son cousin le piton des neiges, pointe noire au milieu de la mer de nuages.
Nous avons croisé peu de monde. En montagne, on bavarde peu on garde son souffle, on met un pied devant l’autre et on recommence. En file indienne, nous avançons vers le ventre de la fournaise. Le sol du cratère bouge de chaleur et de mouvements internes. Il est vivant sous nos pieds et chaud sous nos mains qui s’avancent prudemment pour le toucher. Nos voix se taisent dans cette cathédrale à ciel ouvert. L’instant de la rencontre est silencieux, grave, intérieur. On se sent d’un coup happé par une force plus grande, transcendé, emporté. C’est juste un petit vertige, presque rien, mais il rend plus humble, plus résiliant. Il donne la certitude d’être lié à la terre et à la vie pleinement.
Après avoir foulé la terre du cratère, il faut encore reprendre de l’énergie pour remonter ses falaises abruptes et revenir sur nos pas vers la plaine des sables puis le bord de mer, épuisés de marche et de sensations, comme hypnotisés. Nous parlerons peu le soir même, il faut économiser les mots, peu d’entre eux peuvent décrire cette rencontre.
L’air
Dimanche : le jour pour flotter sous le ciel bleue du Paradis.
L’eau
Au Paradis l’eau est celle dont on parle sans cesse, celle qui soigne, celle qui guide, celle qui nourrit, celle qui fait la vie.
Pour vous en parler j’ai dû m’équiper. Ce fut chose aisée. Le premier supermarché proposait en promotion un Beach Kit de toute beauté réunissant les basiques masques et tubas au très précieux appareil numérique Waterproof !
IDEAL !
Ainsi parée, je me suis ruée sur la plage pour goûter à l’eau bienfaisante. Bon, le premier panneau était assez décourageant promettant requins et courant violent au programme. Bon ….. Mais je venais de dépenser 170 euros pour The Beach Kit alors…. même pas peur. J’ai eu raison !!!!
C’est beau
C’est magique
C’est amusant tous ces poissons qui nagent autours de nous, qui viennent nous dire bonjour.
En vrais professionnels du spectacle, ils savent créer du suspense, puis de l’émotion, puis de la surprise. Les décors sont absolument parfaits. Du grand art ! Les acteurs/danseurs/nageurs nous entraînent dans un ballet virevoltant et hypnotisant. La mise en scène va jusqu’à interpeller nos sens du toucher par de petites morsures des acteurs/danseurs/nageurs au moment où on s’y attend le moins. Et bien sûr le spectacle est en odorama : on passe du monoï sur poisson frais à l’écran total sur fond iodé. Bref, rien n’est mis de côté. Je recommande le spectacle à toute personne sachant respirer dans un tuba.
Sur la surface c’est chouette aussi. Elle éblouit. Elle remue. Elle fait glisser. Je me suis essayée au surf avec un demi-succès mais tellement de plaisir. Guidée par le père de Sarah, encouragée par les jeunes apprentis, accueillis avec douceur par les plus aguerris en dreadlocks, le monde du surf me tend les bras.
Je sais maintenant que l’Océan Indien et ses barrières de corail font le Paradis.
La terre
Au Paradis, la terre commence par la lave brûlante et les cendres des profondeurs.
La réunion n’a que 3 millions d’années, un bébé quoi. Quand on se balade sur le dodu dos de l’île nourrisson on tourne toujours d’une manière ou d’une autre autour du volcan central.
Au contraire de l’immense Patagonie ou de la froide Norvège, les paysages et la végétations changent sans cesse. On passe du désert de l’Atlas, au mont Alpin en quelques kilomètres. De la forêts primitives de fougères à la plage en un saut de puce. Ce qui lie tous ces paysages c’est le sol, la lave noire et riche qui les porte. Les microclimats et la présence omniprésente de l’eau claire font le reste. Il semble que le Paradis soit fait d’une myriade de minis mondes.
La religion
Le Paradis connait également une multitude de religions.
Bien sûr, l’île est d’abord : Saint Denis, Saint Paul, Saint Pierre, Saint Leu sont le noms des villes principales. Pour aller à Saint Joseph, il faut quitter Saint Pierre par Terre Sainte. À croire qu’au Paradis on a construit autant de villes qu’il y a de saints. Les églises poussent en veux-tu en voilà, toutes belles et neuves. Et puis, il y a les autels que l’on croise sur les bords des chemins : reste d’un animisme coloré, si on n’y sacrifie plus de poulet, on offre des bougies, des prières, des remerciements aux saints protecteurs.
Les musulmans sont aussi présents. Des minarets s’élèvent au ciel dans toutes les grandes villes. Ici, les muezzins ont les droits de chanter. Le traditionnel appel à la prière est autorisé au Paradis. Il y a également, et pas moins discrets que les églises et mosquées, plusieurs temples chinois et donc bouddhistes. Paisible, toujours bedonnants et souriants, bouddha est le bien heureux au Paradis. Le polythéisme hindou avec toutes les représentations colorées de ces dieux protecteurs est également présent. Seule absente, la synagogue boude le Paradis. À moins que le peuple élu ne soit déjà dans le carré VIP du Paradis que je n’ai pas encore trouvé.
La flore
Au commencement était la canne à sucre puis vint la maison coloniale. Ça c’est une histoire que d’autres vous raconteraient mieux que moi.
Si la canne à sucre est toujours présente au Paradis, ce qui fait sa beauté ce sont les innombrables espèces végétales endémiques, ou non, qui le peuplent. Comme vous le savez maintenant, au Paradis on trouve tous les climats, et les espèces végétales qui vont avec. La terre est riche et l’eau abondante, les plantes peuvent s’en donner à cœur joie : cactus, palmiers, bois de haute montagne, garrigue, plantes grasses mais aussi palétuvier ou même bruyère de la taïga, tout y est ou presque. C’est un arborétum géant, l’arche de Noé du monde végétal. Tout ce petit monde porte des fleurs colorées et odorantes. Le Paradis ville fleurie.
Qui dit fleur dit fruit et alors là les amis, le Paradis est très très fort… Des rouges, des blancs, des verts, des jaunes et même des bleus étranges mais tous sucrés et rafraichissant… Régal pour le fruitivore au transit sans défaut comme moi. Pourtant, aujourd’hui pour moi est un jour à migraine et la migraine ophtalmique, même au Paradis, c’est un peu l’enfer.
La faune
Le Paradis est apparu il y a 3 millions d’années. Plusieurs milliers d’années après la disparition des dinosaures. Ils ne l’auront donc pas connu. Normal, ce ne sont pas des animaux de la création.
À son apparition, des insectes, quelques lombrics et de nombreux oiseaux se sont partagés joyeusement le Paradis. Ils étaient tellement biens qu’ils ont finis endémiques pour de bon. Créatures du Paradis un point c’est tout !
Ce n’est que bien tardivement, il y a 350 ans exactement, presque la semaine dernière à l’échelle de l’âge de la terre, que l’espèce principale de l’île est venue la conquérir. Au départ, ce furent des bagnards et quelques pirates qui avaient le don des bons plans. Puis vinrent les colons blancs, les esclaves noirs, la canne à sucre et les grandes demeures créoles. Évidemment tout ce petit monde, n’a jamais voulu quitter l’île Paradis. Au fil des années et des changements, ils ont, comme leur amis les oiseaux, créé leur espèce endémique : le créole !
Il n’est pas très aisé à reconnaître au premier abord mais ce qui est certain c’est qu’il est fier d’être créole. Ses définitions varient mais en gros un créole est quelqu’un qui est né à La Réunion. Bon c’est un début. Il y a donc des créoles Zoreils (comprendre blanc) et des créoles cafres (comprendre noir). Mais le créole, bien vu, est un créole métissé. Forcément, à la Réunion les croisements se font facilement. Du coup, les gens se définissent par leur origine avant toute chose : créole Chinois – Indien, créole Zoreil – Chinois, Créole issue de créole etc…. Moi qui suis Zoreil Métro et je n’ai pas la côte.
Bouleversement sensoriel
Au Paradis, le feu est au centre et se nourrit de nuages
Au Paradis, l’eau est omniprésente et bienfaisante
Au Paradis, la terre est riche, multiple, colorée et vibrante
Au Paradis, l’air est si dense et si variable qu’il est palpable
Au Paradis, la nourriture est abondante et différente
Au Paradis, on est heureux
Au Paradis, tout se mélange. C’est une Réunion de peuples, de contrastes, d’épices, de microclimats, de mini mondes.
Ce matin nous sommes allés faire une balade sur les hauts vers le cirque de Cilaos. Dans balade comprendre marche de montagne abrupte de 4h en montant et descendant sous le vent, le ciel, le soleil et la pluie.
Évidemment en haut c’est saisissant et pour y accéder tout autant. Nous avons d’abord croisé des villages à flanc de montagne, puis le reste de la forêt primitive aux fougères arborescentes et ensuite un bois mélangé Japonais et Tim Burton. Sous un concert d’oiseaux et de senteur de chèvrefeuille.
Comme pour tous les voyages, il y a les quelques moments de pauses. Une après-midi, après la pluie torrentielle, à cueillir des pitayas, fruits de cactus roses, avec application et attention, en compagnie de monsieur Georges Sauveur, qui m’a répété 243 fois de piquer à l’insertion de la tige sans tourner, sans vriller le sécateur sous peine d’abîmer à la fois les lames et le fruit. Oui, il a raison, dans la vie, il faut, parfois, savoir piquer droit.
Une redescente du piton cabris, en silence, dans le 4/4, Jean-Yves Terrisse au volant, Eliana da Costa, sa compagne à côte de lui, moi à l’arrière regardant le paysage magnifique et variant au son d’une bossa brésilienne. Ils s’aiment, j’aime les gens qui s’aiment. Ils me rassurent.
Ça c’est le Paradis….