Mes amis Jéromine, Aladin, Athéna, Indira et Venus sont partis pendant un an faire le tour du monde en famille avec un budget restreint mais un planning de visite bien chargé. Je les ai rejoints pour Noël 2013 en Indonésie.
L’arrivée
Dans la famille Jouini-Derigny en tour du monde, il y a :
-Le père, Aladin, musicien, vidéaste, constructeur, bricoleur dont la tête va plus vite que ses jambes qui sont pourtant longues et musclées.
-La mère, Jéromine, photographe reporteur, d’un calme invariable proche de celui de Boudha.
-Les jumelles, Athéna et Indira, 13 ans, sages, bien élevées, souriantes, agréables, douces, bronzées, en train de s’entrainer à devenir des jeunes femmes.
-La petite dernière, Venus, 3 ans, amusée, amusante, qui se met à danser et à chanter dès qu’elle en a l’occasion
et
-le quadrimoteur flying caméra à palme souple et moteur léger.
Le petit dernier de la famille suscite beaucoup d’attention et procure beaucoup de joie. Il faut dire qu’il est toutes options et qu’il remplit avec application ses fonctions de cohésion de groupe. Aladin me l’a présenté dès le lendemain de mon arrivée. Il venait de le reconstruire dans la nuit pour me le montrer au mieux de sa forme.
Nous sommes allés le promener ensemble au jardin Botanique de Bogor, vaste parc de plusieurs centaines d’hectares, héritage de la colonisation hollandaise. Il était content, nous étions heureux.
Il faisait chaud et humide, voir très humide. La couverture végétale du parc offrait assez de fraîcheur pour que nous y soyons bien. Réconfortés par la température plus clémente, nous avons marché d’espèces endémiques en arbres géants.
À la faveur d’une clairière, le quadrimoteur s’est envolé dans un bruit de bourdon tropical masquant le chant du lointain muezzin, sous les yeux surpris et bienveillants des militaires gardiens du palais présidentiel jouxtant le parc. La curiosité l’emportant sur les règles de sécurité, il m’a semblait que c’était plutôt bon signe pour la suite du voyage.
Bogor
Pour accéder à Bogor, j’avais pris un métro, un RER, un train, effectué 2 vols, et 3h de voitures. 22h de voyage plus tard, je n’étais pas mécontente de dormir dans un hôtel au standard de confort européen. Après les retrouvailles et la balade d’hier j’étais toujours fourbue. Ça tombait bien, toute la famille, qui incluait également les parents de Jéromine sur cette portion de voyage, n’était pas contre une journée de repos.
Démarrage en douceur sur les coups de midi, après un petit déjeuner très européen et un bain de piscine marbrée, notre première mission fut rendue rapidement et avec succès. Il faut dire que lors de la promenade du quadrimoteur nous avions fait un peu de repérage. C’est pourquoi nous savions comment accéder facilement au restaurant de cuisine locale qui servait du riz accompagné de trucs en soja, poulet, légumes aux piments, poissons frits et des beignets en dessert.
La suite de la visite de Bogor fut également réussie. Nous avons croisé la route d’un magasin de fripes sur 3 étages. Les vendeuses aux voiles colorés et aux sourires amusés, nous ont guidés dans les rayons pour nous aider à trouver ce dont nous avions besoin. 3 robes, 1 pantalon et 5 petits hauts trop mignons et qui nous allaient tellement bien, plus tard, nous sommes ressorties dans la forêt de 2 roues. La ville était exiguë, les indonésiens extrêmement nombreux et le degré d’humidité avoisinant les 90% sous un 35° à l’ombre. Nous nous sommes rapidement repliées à l’hôtel, sa piscine et son mall climatisé.
Le lendemain matin, un chauffeur d’une voiture à 7 places est venu nous attendre. La famille poursuivait son chemin vers l’est en direction de Yogjakarta, la ville historique, pour y passer un Noël tropical.
La route
500 kilomètres sont parfois long à parcourir. En Indonésie, ça l’est encore plus.
Nous sommes partis à 9h30 du matin frais et vaillants et nous sommes arrivés à 4h30 du matin moins frais et encore moins vaillants. Il pleuvait quand nous sommes partis et il pleuvait encore quand nous sommes arrivés. 19h de route sous l’eau et les bouchons.
Quand nous avons vu le 7 places à air conditionné si confortable, nous nous sommes dit que nous avions bien fait de louer cette voiture.
Toutes les valises étaient bien installées et nous également. Même le camembert de Noël, que j’avais apporté de France, avait trouvé une place acceptable : accroché au rétroviseur passager dans plusieurs sacs plastiques locaux pour camoufler d’odeur.
En effet, j’avais préparé un petit Noël français pour la famille en vadrouille. Au programme : saucisson, chocolat, bordeaux et…. camembert !
Mais le truc avec le camembert c’est qu’il peut être odorant. Voir très. À Bogor, j’avais tenté de le cacher dans le coffre fort de la chambre puis sur la fenêtre, puis dans l’eau. Le room service mettait des petits déodorants à chacun de leurs nombreux passages mais rien n’y faisait. L’odeur persistait. Alors quand Aladin a commencé à incriminer certaine partie de son anatomie pour expliquer l’odeur, j’ai dû avouer… Ma valise sentait le fromage! Aladin fut plus malin et nous avons alors trouvé un frigidaire où déposer pour la nuit avant le départ, l’objet puant.
Ce matin afin d’éviter toute gêne, nous l’avons pendu dans un sac plastique au rétroviseur de la voiture. Et c’est ainsi que nous avons débuter le voyage.
On nous avait prévenu : « Normally, it’s 12h but we can’t promise ».
Au premier bouchon, on ne s’est pas inquiétés. Au deuxième non plus. C’est quand il a fallu prendre un itinéraire bis et s’enfuir de l’autoroute qu’on s’est dit qu’on avait bien fait de prendre une voiture avec chauffeur plutôt qu’un bus !
La route sous la pluie, ça aide à la rêverie. Les petits détails des jours précédent reviennent en bulles qui se disloquent lentement au gré des nid de poules. On avance doucement mais on avance. À ma gauche une plantation de thé puis une rizière : ma toute première plantation de thé, ma toute première rizière.
Assise à ma droite, mon amie Jéromine reste égale à elle-même calme et souriante. Comment fait-elle? Elle avale les kilomètres douloureux sans bouger. Elle n’a jamais faim. Elle n’a jamais soif. Si elle a besoin d’aller au toilette, elle attend qu’on s’arrête. Venus lui marche dessus et elle sourit doucement. Ses filles s’agitent, elle grogne à peine. Rien ne semble l’énerver. Comment fait-elle ? Est-elle une réincarnation de Boudha ? Pourquoi rien ne l’ébranle ? Ça fera bientôt 30 ans que je me pose la question, que je l’observe, que je tente d’apprendre. Ça ne vient pas. Aucun calme en moi face à mes besoins physiques. La faim m’énerve, le manque de sommeil m’effraie et je vais au toilette toutes les deux heures.
Putain déjà 12h de voyage !
Merci à la playlist d’Aladin de m’aider dans cette épreuve. Avec une reconnaissance toute particulière pour Tower of Power et Sly Stone. Leurs musiques rendent la route plus acceptable. Que de monde : jamais une pause, jamais un espace de simple campagne. Des bouchons, des 2 roues, des camions à l’infini et, sur le bord de la route, les échoppes se succèdent sans discontinuer : restaurants, salons de coiffure, épiceries en tout genre, garagistes, restaurants, tailleurs et ainsi de suite.
Je connais déjà cette route. Je l’ai rencontrée entre Abidjan et Abobo, Dakar et Saint Louis, Marrakech et Ouarzazate. Quelle que soit la couleur de la terre, quelle que soit l’épaisseur de la végétation, sur cette route qui relient les hommes, ils se croisent, s’alimentent, s’habillent et prient.
Il est 20h. On s’arrête pour manger.
Yogjakarta nous attend dans 200 kilomètres de nuit noire.
On continue, on avance, on a plus le choix.
Et puis d’un coup, le chauffeur annonce vers minuit 30 : « We are almost arrived »
Le soulagement est palpable dans l’habitacle qui même privé de camembert commence pourtant à répandre une odeur de fermentation.
Mais il y a eu un ultime caillou sur le parcours. Avec toute cette eau venue du ciel il fallait bien qu’on finisse par tomber sur des inondations. J’avais déjà connu ça au Sénégal à la saison des pluies mais je pensais bêtement qu’ici on y échapperait et bien non ! À 00h30 et à moins de 20 kilomètres de Yogja, un lac s’étendait au milieu de la route. Un vrai lac rempli d’automobiles en perdition et de cirés colorés tentant de récupérer des bagages survivants.
C’est dans ces moments de petites solitudes que l’on trouve des solutions. Dans notre cas, elle vint d’un habitant du coin qui nous guida avec sa mobylette Yamaha sur un itinéraire bis. Le bienveillant bison futé indonésien nous fit profiter des petites routes de rizières inondées de grenouilles chantantes et de groupes d’hommes faisant la manche sous des capes de pluies au milieu de la nuit pour… l’entretien des routes.
Au bout du bout, le conducteur de la Yamaha nous remis sur le droit chemin.
Par la fenêtre nous lui avons tendu un billet. Était-ce un geste inapproprié ou l’odeur du camembert qui le fit reculer ? Nous ne saurons jamais.
Nous lui dîmes : Terimakaci ! (merci)
Il ne dit pas : Sama sama ( de rien)
Pourquoi ? Nous ne le saurons jamais non plus
Mais nous le remercions du fond du cœur.
À 4h30, notre hôtel était en pleine préparation du petit déjeuner et nous avons regagné nos chambres avec beaucoup d’enthousiasme. Je me suis inquiétée seulement le lendemain matin de savoir où était passé l’odorant Typically French Cheese !
Yogjakarta
Le lendemain nous étions tous un peu fatigués. Les réveils furent échelonnés. Les petits déjeuners silencieux. Chacun a vaqué à ses propres occupations dans l’hôtel en teck, à la piscine attirante.
Il pleuvait encore et toujours. Les touristes des chambres attenantes revenaient de leurs visites sous leurs Kways, cirés et autres parapluies. Ce n’était pas un temps à sortir. Alors nous nous sommes mis à travailler, à écrire, à monter des images, à apprendre des leçons et nous nous sommes reposés de la journée précédente. Puis quand vint l’accalmie, quand les goutes de pluie sont devenues moins denses, nous nous sommes baignés dans la piscine attirante.
Avant de rejoindre ma chambre, j’ai retrouvé le camembert pendu à une poutre au dessus du bureau improvisé d’Aladin. Il prend l’air pour sa dernière nuit sur terre.
Noël
Hier soir, nous avons dignement fêté Noël autour de notre camembert voyageur.
Comme toujours ici, il faisait chaud et humide. La réception de l’hôtel avait gentiment placé un sapin et un père Noël à l’entrée. Nous avons bu un peu de vin rouge. Nous avons mangé du saucisson avec délice et notre camembert « trophée » et trop fait, avec grande parcimonie et profond respect. Peut-être aussi avec un peu de nostalgie du côté de la famille Jouini Derigny.
Au marché aux animaux
Tôt le matin, je suis sortie seule au chant des Muezzins qui faisaient la Java en cœur (fallait bien que je la fasse). Le nombre de mosquées est impressionnant ici, comme le nombre d’appels à la prière. Il y en a bien plus que 5 par jours. Je suis formelle. Les indonésiens prient souvent et n’importe où. Les restaurants, les stations essences, les petites échoppes disposent presque tous de toilettes qui sont équipées pour y faire des ablutions. J’avais remarqué, suite à une tourista les derniers jours, que les toilettes étaient d’ailleurs assez propres. C’est à l’occasion de ma balade matinale que j’en ai compris la raison. Le boucan incessant de la circulation, non moins incessante, à peine couvert par le chant des si nombreuses mosquées, m’avait poussée à trouver des coins un peu plus calmes. Des ruelles menaient vers la rivière qui traverse la ville. C’est ainsi que j’ai appris qu’ici on défèque visiblement dans l’eau et de préférence devant tout le monde. Si j’avais su, j’aurais passé les deux derniers jours de tourista près d’un plan d’eau pour participer au folklore local.
En remontant la rivière, j’ai alors croisé la route d’un joli marché aux oiseaux, aux animaux et aux plantes. On y vendait des oiseaux verts, des oiseaux bleus aux cris stridents, des perruches et perroquets, des hiboux défraîchis et endormis que l’on croyait empaillés jusqu’à ce qu’ils ouvrent un œil rond au regard perçant, des singes, des mangoustes… En m’enfonçant davantage au milieu de la foule, à un croisement, sous les regards hypnotisés de nombreux enfants, j’ai vu une masse multicolore bouger. De petits poussins teints en vert, rose, violet et même rouge fluo piaillaient dans un cagot, juste à côté, un aquarium de bernard-lhermites aux coquilles peintes à la main de figurines de couleurs vives. Bonheur des enfants et donc de leurs parents, les animaux maltraités se vendaient à la pelle. Dépitée, j’ai repris le chemin de l’hôtel pour faire le récit de mes découvertes à la famille.
Le volcan Bromo
Ça valait vraiment le coup !
Nous sommes partis à minuit après 2 petites heures de sommeil dans un bus qui nous a laissés, 3h plus tard, dans un froid polaire, attendre avec plein d’autres que le soleil se lève. Puis nous avons grimpé fortement sous le soleil déjà haut pour atteindre les crêtes du cratère fumant. Quel grand spectacle !
Ce lever de soleil sur un volcan actif dans une lumière de début du monde après une nuit blanche restera certainement un de mes grands souvenirs de beauté.
Jakarta
L’hôtel Ibis de Jakarta n’a absolument rien de spécial sauf qu’il y a la TV en français et une multitude de personnel souriant et parlant un anglais plus correct que le mien.
La déco date des années 80 tendance fin 70. La vue est belle et la piscine en réfection.
Pour mon dernier jour en Indonésie, veille de premier de l’an, j’ai décidé d’aller au Mall acheter quelques souvenirs. Ce ne fut rendu possible que grâce à l’attention d’Anis et de son neveu Angra.
J’avais été stoppée par la pluie. Quand il pleut, en Indonésie, ce n’est pas pour rire. On ne peut pas rester dessous, avec ou sans parapluie. Pas question non plus de rentrer dans un taxi ou un Tchouc tchouc, la circulation ressemble à immense traffic jam de deux roues roulants aux pas les uns juste derrière les autres.
J’ai été obligée de m’abriter, sous l’auvent du magasin, pour attendre que ça se calme, bien avant d’arriver à destination. Alors que j’attendais dans la robe la plus sage et couvrante que j’avais emportée, une femme est sortie du magasin avec une chaise pour que je puisse m’assoir. Puis une autre est venue m’offrir, cette fois-ci, une banane que j’ai refusée poliment, la tourista toujours en mémoire. Du coup, elle est revenue avec un sachet de cacahuètes. Elles m’ont rappelé le Sénégal ces arachides fraîches dans un sac en plastique noir. Je n’ai pas eu le temps d’en manger 5, qu’un homme m’a invitée à entrer dans le magasin où m’attendait déjà une tasse de café. Quel accueil ! Il y avait deux hommes et plusieurs femmes assises un peu partout dans la boutique. Une jeune femme, le voile sur les épaules, comme c’est la norme en intérieur ici, parlait anglais et traduisait aux autres, toutes mes réponses. Elles étaient nombreuses et parfois à la limite de l’indiscrétion. Mais eux, n’étaient pas bavards quand il s’agissait de répondre aux miennes. Ils se contentaient la plupart du temps d’un petit hochement de tête, le sourire aux lèvres et le regard droit dans le mien. Je n’étais sûre de rien face à ces visages impassibles sur lesquels seul un sourire définitivement poli s’exprimait.
La pluie s’est finalement calmée et j’ai voulu prendre congé. Le chef de famille m’a alors demandé où j’allais. Je lui ai expliqué que je voulais chercher de l’argent pour aller au Mall trouver quelques cadeaux et souvenirs avant de rentrer en France. Il s’est levé d’un coup en s’adressant au plus grand indonésien que j’avais vu jusqu’à présent. Ce dernier m’a indiqué la porte de sortie puis celle d’un 4×4 garé juste en face. Devant tant d’autorité, je n’ai pu qu’obtempérer. Angra, mon chauffeur improvisé, m’a amenée changer de l’argent dans une banque qui a pignon sur rue puis il m’a invitée à le suivre dans un Mall géant pour y acheter des tissus. Ensuite, comme il était presque 14h, il m’a invitée à déjeuner dans un restaurant en haut d’une tour avec vue sur la ville. Après quelques derniers achats, avant de me ramener à l’hôtel, il m’a fait faire une visite touristique des principaux lieux de la ville avec la politesse d’un valet de pied. Durant les 6h que nous avons passées ensemble, Angra n’a pas dit un mot personnel sur lui. En revanche, il m’a parlé de son business qu’il a créé avec son épouse et la mère de celle-ci. Il en était visiblement très fier. À un moment, m’indiquant une façade, il m’a dit : «C’est l’école où j’ai fait mes études. ». J’ai immédiatement tourné la tête pleine d’intérêt et je l’ai questionné. Mais rien ne vint. Juste le fameux sourire.
En arrivant devant la porte de l’hôtel, alors que ça faisait déjà 1h que je me demandais comment faire pour le remercier, j’ai finis pas oser lui demander.
- Nothing ! I am glad to help you, m’a t-il répondu
Je ne pouvais qu’insister. Il venait de passer 5h de son temps à mon quasi service et même plus. Alors il a lâché le regard loin derrière moi - Maybe a picture of you in front of the Eiffel Tower.
C’est la première chose que j’ai faite en rentrant !
Je ne suis pas certaine d’en savoir plus sur ce pays.
Je n’y ai jamais vu quelqu’un s’énerver. Personne ne m’a jamais importunée. L’islam doux mais rigoureux baigné d’un peu de bouddhisme semble garder ce pays surpeuplé en paix. Ici, mon corps a souffert de la chaleur humide, du soleil trop brulant, de la tourista douloureuse, de la nourriture bizarrement épicée. En revanche, mon mental est tranquille, car finalement, j’ai l’impression que la vie marche un peu comme chez nous.
C’est exactement l’inverse de ce que je ressens en Afrique. Mon corps y est si joyeux, comme s’il rentrait chez lui. Mais mon mental doit sans cesse faire des torsions pour comprendre la marche à suivre.