- Qu’est ce que je peux faire pour toi, Gora ?
- Je voudrais apprendre à lire et à écrire.
C’était il y a 7 ans. À l’époque, tout le monde m’avait mise en garde. On craignait que l’argent que j’envoyais ne serve à rien. À rien ? Même si Gora ne retournait pas à l’école, l’argent aurait servi à plein d’autres choses. Je lui donnais la chance comme il disait. À lui de la saisir, ou pas. J’avais assez passé de temps en Afrique de l’ouest pour savoir que l’argent y manque et y circule.
6 mois plus tard, je suis retournée au Sénégal. Gora m’attendait chez lui à Thies, la petite ville au nord de Dakar. À peine arrivée, il a sorti son cartable et son cahier et m’a dit :
- Qu’est ce que tu veux que j’écrive?
- Écris, Gora, écris : Je suis très contente et très fière parce que maintenant tu sais lire et écrire!
- Je suis tré conten parce que mantenant, je sé lire et ecrire…..
Après plusieurs années à « travailler avec les putes » à Saly, la station balnéaire de la petite côte qui propose une offre de prostitution féminine et masculine attractive pour certains touristes, Gora a débarqué au Maroc. Une gentille « Toubab » en manque d’affection et peut-être d’expérience sexuelle folklorique lui avait offert le coûteux billet.
Bien sûr, il a filé sur Tanger.
Bien sûr, il est monté dans un Zodiac voué au naufrage tant il était vieux, usé et surtout surchargé
Bien sûr, il a eut très peur quand Frontex a renversé l’embarcation laissant les espérants migrants dans l’eau glacée de l’océan naissant.
Bien sûr, il fut renvoyé à Oujda à la frontière Algérienne où on lui prit ses papiers, ses chaussures et beaucoup de sa dignité.
Et,
de retour à Casablanca
il est tombé très malade.
La gentille Toubab ne répondait plus à ses appels, peut-être déjà occupée à d’autres expériences. Gora comptait sur moi pour prendre le relais. Ce que j’ai fait, en échange de la promesse qu’il ne tenterait plus la mer.
Il l’a tenue. Grâce aux aides que Frontex donne au royaume du Maroc pour sédentariser sur place les aspirants migrants, il a trouvé un appartement, une formation en cuisine, des aides sociales et un emploi. Il travaille dans un restaurant façon Fast-food sur la somptueuse corniche, entre un Starbucks et un institut de beauté. Il a sa propre chambre et même une TV. Il n’a plus besoin de mettre en relation des prostituées sénégalaises en attente de passage vers l’Europe avec les bons clients.
Quand il a reçu son premier salaire, il m’a envoyé la moitié de l’argent. Avec cet argent je me suis payé un billet d’avion pour aller le voir. Ce fut facile pour moi : j’ai le bon passeport, des billets Low cost et des jours de congés à poser.
Alors me voilà à côté de lui, fière de lui, heureuse pour lui, 7 ans après, peut-être comme une maman peut l’être parfois.
Me voilà devenue la mère d’un jeune aspirant migrant, ancien proxénète, qui s’habille comme Tupac, et qui fait des pizzas pour la jeunesse dorée de Casa !
Hier, mercredi, c’était son jour de repos. Nous avons passé la journée ensemble. Un moment mère-fils. Après une longue marche, il m’a amenée là où il a vécu avant de prendre le bateau, avant d’avoir si peur, avant de trouver du travail.
Une chambre de 2m sur 2m5 sans fenêtre avec des toilettes à la turque à moins d’1m de la porte. Entre les deux, au sol, un bec de gaz et des plats pour faire à manger. C’est sale, très sale. C’est ici que des Sénégalais attendent de pouvoir passer en Europe.
Ils sont 6 à vivre là dedans. À Tanger, il ne peuvent pas rester, la police les chasse. À Marrakech, il n’y a rien à faire. Pas de travail, peu d’Africains. Alors ils sont là. Ils bossent tous mais gagnent peu, au mieux 250 euros par mois. Ils vivent les uns sur les autres et ils mettent de côté pour payer le prochain passage.
Père a passé 20 ans en France. Il me dit avoir 2 femmes au Sénégal. Il a déjà pris 5 fois le bateau et fait plusieurs mois de rétention. Pourquoi n’a t-il plus de papiers français ? Il ne me le dira pas. Aujourd’hui, il doit repasser en Europe pour envoyer des euros à sa famille.
Bouba, le jeune gambien qui fait le thé et va à la boutique pour les autres, arrive de Lagos avec en poche un master de direction des ressources humaines. Il sent le jeune diplômé – paumé. Il est brillant. Il ne parle pas le français, mais s’exprime si bien en anglais. Que fait-il là ? Quel avenir pour lui ? Je lui propose de lui payer des cours de français. Il va se renseigner pour l’université au Maroc. Fera-t-il comme Gora ?
Le grand Ass est triste et certainement malade. Il a quitté le Sénégal lors du décès de sa grand-mère. Il devait s’éloigner. Elle est morte près de lui à 3h du matin dans son magasin de bijoux sur la plage de Ngor à la pointe de Dakar. Depuis, il se réveille toutes les nuits à cette heure-là. Du coup, il doit dormir à l’entrée de la chambre pour ne pas déranger les autres. Il est fatigué cet homme. Son corps et sa tête sont lourds. Pourquoi me touche-t-il tant ? J’espère qu’il finira par rentrer au Sénégal, rouvrir sa boutique et fumer ses joints de Baye Fall tranquillement entre les barques de pécheurs.
Et il y a Laye qui fait le Taxi, Oussman qui se fait beau pour trouver une européenne, le tout jeune et curieux Guinéen Lamanara, Cheikh qui veut devenir une star, Sidy le mécanicien….. Tous sont de passage, en transit depuis plusieurs mois, parfois plusieurs années.
Avec Gora, nous allons faire les courses pour le dîner du soir. C’est moi qui paie. Ass prépare le Tieboudienne au sol devant les toilettes et nous mangeons, toujours au sol, dans la chambre au pied des matelas. Moi et 13 hommes africains autour d’un unique plat.
Il semble que la pauvreté de Dakar à Casablanca est finalement plus visible que celle de Dakar à Dakar. Pourtant je me sens bien, si bien avec eux à manger du poisson au riz et à les regarder se moquer les uns des autres en souriant et en posant leur corps là, librement, simplement comme ça juste où ils trouvent un bout de place. Je tente de leur parler de l’Europe. De les prévenir. De leur dire le froid et la froideur des gens. La solitude, les codes différents, le stress, le timing. Et puis finalement je me tais, ils verront par eux-mêmes, peut-être.
Toute la journée Gora s’est occupé de moi. Il me donne à boire. Il tient mon sac. Il me prend la main pour traverser, il me met à l’abri des voitures. Il coupe le poisson et le met dans ma partie du plat. Quand on lui demande qui je suis, il dit : ce n’est pas pas copine c’est ma mère.
À minuit, il dit à Laye de me ramener à l’hôtel et je rentre dans ma chambre de luxe qui coûte leur salaire mensuel moyen la nuit et qui pourrait contenir pas loin de 30 africains en transit. Alors, dans mon lit blanc et propre avec le bruit de la mer pour me bercer et la promesse d’un petit déjeuner géant, je m’endors confortablement et seule. Peut-être par solidarité, je me suis réveillée à 3h du matin avec la crainte de l’avion au ventre. Mais je crois que c’est plutôt la TV de la chambre voisine.
Je suis de retour dans mon mini loft parisien mais je crains que l’atterrissage ne soit un peu long cette fois-ci. J’ai de la chance de vivre en France.
Pour entrer dans l'espace Shengen les ressortissants de certains pays tiers doivent faire une demande de visa aux consulats du pays dans lequel ils souhaitent se rendre. Il existe plusieurs types de visa. Les visas courts séjour simple ou multiples entrées, qui permettent de séjourner 3 mois dans l'espace Shengen et d'y circuler. Les visas longs séjours en vue d'installation d'une durée d'un an valant dans certain cas, titre de séjour. C'est le cas des étudiants, des conjoints de français, des introductions par le travail.... Pour faire la demande de visa il faut justifier de ressources suffisantes (fixée à 60 euros par jour, 30 si on est hébergé ou 615 euros par mois pour les longs séjours), d'un hébergement ou d'une réservation d'hôtel et d'une assurance médicale pour les visas courts séjours. Un dossier doit être présenté au consulat après y avoir pris rendez-vous. Les démarches peuvent prendre plusieurs mois. En Afrique les visas courts séjours sont refusés dans 95 % des cas. S'ils sont refusés, il est possible de faire une réclamation devant la commission du titre de séjour puis devant le tribunal administratif de Nantes. Les délais pour une audience sont d'environ 27 mois en ce moment. À la frontière, en plus du visa, les autorités policières peuvent demander de nouveau de vérifier les justificatifs d'hébergement, d'assurance et de ressources. L'accès au territoire est parfois refusés malgré l'obtention du visa.