Quand Khan a perdu son premier emploi

Khan S. est arrivé en France il y environ 2 ans ½. Il y a 6 mois, il a obtenu la protection subsidiaire. Il y a 7 semaines, il a trouvé du travail. En Afghanistan, dans son village proche du Pakistan, il était professeur d’anglais. Il avait même fondé sa propre école. Mais il ne fait pas bon parler l’anglais quand c’est la langue de l’ennemi américain. Ici, il trie les emballages recyclés sur les immenses tapis roulants d’une usine de recyclage en banlieue parisienne.

Il est toujours en attente de son nouvel extrait d’acte de naissance, d’un permis de séjour français, et d’un titre de voyage lui permettant de quitter le territoire. Pour le moment, il est un citoyen sous protection internationale prié de rester vivre et travailler à proximité de la préfecture de police du boulevard Ney.

Quand il dû s’enfuir, sous la menace grandissante des Talibans, Khan dû abandonner sa femme enceinte, ses quatre enfants, sa mère, ses deux petits frères et son oncle, le frère de son père disparu.

Alors qu’il était encore en Iran, sa femme perdit leur dernier enfant. Quand il était en rétention en Bulgarie, l’armée afghane mit son oncle en prison. À son arrivée en France c’est sa mère qui décéda à l’hôpital après un attentat à Kaboul revendiqué par l’État islamique. Il y a 6 jours, son plus jeune frère est décédé au bord d’une route.

La province afghane de Jalalabad, située au sud-est du pays, est aujourd’hui entièrement aux mains des Talibans qui menacent, enlèvent, torturent. Mais c’est surtout une région en guerre où la population survit entre les démonstrations de forces de l’OTAN, de l’état afghan, des Talibans et plus récemment de l’État Islamique.

Je ne sais pas si nous pourrons savoir exactement ce qui est arrivé à ce jeune homme de 23 ans et peu importe. Il est mort alors que son grand frère est en sécurité loin de ce pays morcelé.

Quand Khan a appris pour « l’accident », comme pour les autres décès, il a fait le nécessaire à distance pour payer les funérailles et trouver de l’argent pour envoyer le reste de sa famille en sécurité au Pakistan. Il s’est mis à passer de nombreux coups de fil, qui rompaient le rythme de son travail. Il a passé 3 nuits en quête d’aide de sa communauté, sans grand succès ; puis il faisait la file d’attente au Western Union dès l’ouverture. Le lendemain, à son job répétitif, il était en retard, fatigué et son téléphone sonnait sans cesse. Le nouveau patron de Khan vit rouge. Ce dernier ne pouvait qu’expliquer la bien triste situation. Le patron ne pouvait se permettre d’avoir un tire-au-flan même si les raisons étaient bonnes alors que des milliers de personnes cherchent un emploi en France. Khan perdit son emploi d’intérimaire.

Le code du travail prévoit qu’en cas d’absence nous devons prévenir notre employeur le jour même et en donner la raison. Toutes ne sont pas valables, bien sûr. Dans le cas présent, nous avons droit à 2,5 jours d’absence pour cause de décès d’un membre de la famille par an, pas plus, pas moins. C’est un peu flou je trouve, peut être « Pour Khan, la convention de son entreprise prévoyait… »

Il y a 4 jours, Khan m’a dit qu’il voulait rentrer en Afghanistan. Enfin, plus exactement, il veut quitter la France parce qu’être en sécurité finalement n’aide en rien les siens. Cette protection subsidiaire ne bénéficie qu’à lui et à aucun membre de sa famille. À quoi bon rester à arpenter seul les trottoirs d’une capitale, certes loin des attentats et des tirs, mais sans emploi et sans perspectives d’avenir ? Si l’argent de son labeur n’est pas suffisant pour faire venir sa famille au plus vite, et si, la vie ici est telle que l’entraide n’est plus possible, comment avoir l’esprit tranquille ?

Loin de chez lui, loin des siens, mais aussi des valeurs qui sont les siennes, Khan croit avoir perdu son chemin. « I totally loose my way, dear friend » répète-t-il à qui veut bien l’écouter. Le voilà, alors qui s’isole. Il part de l’appartement qu’il partageait avec d’autres afghans et il retourne dans la rue. Il parle seul. Il ne veut pas s’alimenter. Il doit rentrer chez lui.

Hier Khan a réalisé que, même s’il le demandait, la France ne pourrait pas l’expulser. Il est maintenant un citoyen sous protection internationale et tant qu’il n’a pas reçu ses nouveaux papiers d’identité, il ne peut pas voyager. S’il rentre de lui-même, en Afghanistan, il se verra retirer sa protection subsidiaire.

Khan trouva alors un véritable refuge auprès d’une vieille dame qui l’héberge quelque temps. Elle le laisse divaguer en pachto, en dari, en anglais, en ourdou. Elle lui parle français et lui demande des petits services constamment. « Quel couple étrange ! », doivent se dire les bourgeois qui les croisent au marché de Fontainebleau. Plusieurs mois s’écoulent quand finalement l’OFPRA sort le nouvel acte de naissance de Khan. Avec ce papier si attendu, la vieille dame l’accompagne à la préfecture et il reçoit un titre de séjour, puis un titre de voyage pour réfugié.

Depuis 5 mois, Khan est au Pakistan auprès de sa femme de nouveau enceinte, de ses enfants et de son petit frère.

Mais demain, il doit prendre un vol retour pour la France.

Tout étranger qui vit en France et n'a pas encore acquis un titre de séjour de 10 ans doit demander une autorisation de travail pour son premier emploi.

L'étranger doit le solliciter avec son futur employeur auprès de La DIRECCTE (Directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités). Elle peut leur opposer la situation de l'emploi et leur refuser l'autorisation de travailler, si elle estime que le niveau de chômage est trop important. L'analyse de l'administration se fonde sur des données statistiques sur la profession et dans la zone géographique, ainsi que les recherches déjà accomplies par l'employeur.

Cependant, dans un certain nombre de cas, la situation de l'emploi n'est pas opposée. Il s'agit des situations suivantes :

    Étranger (sauf Algérien) postulant à un emploi dans un métier caractérisé par des difficultés de recrutements (métiers en tension).
    Étranger originaire d'un pays ayant conclu avec la France un accord sur les flux migratoires .
    Étranger venant en France en qualité de jeune professionnel
    Étudiant étranger, titulaire d'un diplôme au moins équivalent au master obtenu en France dans l'année, pour un emploi en relation avec sa formation et rémunéré au moins 2 331,88 € bruts, qui peut obtenir une carte salarié ou travailleur temporaire
    Étudiant étranger, titulaire d'une carte recherche d'emploi/création d'entreprise, pour un emploi en relation avec sa formation et rémunéré au moins 2 331,88 € bruts
    Étranger confié au service d'aide sociale à l'enfance (ASE) avant l'âge de 16 ans et qui l'est encore, pour la conclusion d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation
    Étranger confié au service de l'ASE entre ses 16 et 18 ans, qui peut obtenir une carte salarié ou travailleur temporaire.

Dans le cas de Khan, il n'entrait dans aucun de ses critères. Sous protection subsidiaire pour 1 an, la perte de ce premier emploi de son fait l'obligerait à refaire une demande d'autorisation pour la prochaine fois. 

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