New-York

Premier séjour

Jour 1 : Voyage

Tout a commencé au départ de Sidath. Une fois encore mon mari s’était échappé. Alors quand Rebecca m’a dit : « Vient à New York, j’y serais du 5 au 11 », j’ai dit : « J’arrive ! »

Le réveil de 7h30 me trouve angoissée. J’ai mal dormi. J’adore voyager mais je déteste partir. Finalement, j’embarque, je décolle et j’atterris 1h30 plus tard à Zurich. Les montagnes en hiver rendent les atterrissages si jolis. Je me présente au « desk » d’embarquement des USA pour y apprendre que l’avion pour New York est annulé. Une foule s’énerve, à juste titre, devant le bureau d’AirFrance devant des agents visiblement sans solution et totalement dépassés. À distance, je modifie mon billet. Je dois maintenant transiter par Londres avant New York. Je n’aurai que 5h de retard.

C’est dans le bordel ambiant, extrêmement surprenant pour un aéroport Suisse, que je rencontre Peter Wortsman. Comme son nom l’indique Peter est New Yorkais, juif, d’origine autrichienne, écrivain et il veut rentrer chez lui ! Je lui montre mon nouveau billet et il s’empresse de demander le même à une des hôtesses.

Finalement bien installés au fond de l’avion BritishAirWay, nous nous racontons des histoires. Des histoires banales de la vie, puis de la mienne, puis de la sienne. Est-ce l’altitude? Est-ce la promiscuité des lieux? Est-ce le sentiment de faire partie des élus sauvés par BritishAirWay pour retrouver la terre promise des USA? Une intimité se créé malgré nous et notre vie prend une autre couleur. Nous échangeons pendant 5h, c’est bien. Il est intelligent, sensible, drôle et bien élevé. Sa fille aura 20 ans le 21 janvier et moi 40 ans le même jour. 
La coïncidence nous amuse. 

Et puis…. D’un coup, Peter devient un homme … Il était jusqu’à présent un écrivain âgé, un gentleman encourageant, un chouette compagnon de voyage. Mais voilà qu’il me parle de culpabilité, d’envie de me revoir. Il prend ma main. Tente de m’embrasser. Le désir sexuel quelle galère, parfois !

Alors je vais dormir plus loin et regarder un film. Il s’excuse, mais c’est cassé. J’ai passé 5h très agréable et, grâce à lui, j’ai appris que ce qui fait une phrase, ce sont les verbes et les noms. Les adjectifs sont accessoires.

Mais New York est déjà là. Finalement ce n’était pas si long. Le taxi conduit brutalement jusqu’à Brooklyn. Rebecca m’y attend.

Je vais dormir et demain j’irais au MOMA

Jour 2 : Orientation

Basically it’s very simple : le sud est au sud, le nord est au nord, l’est à l’est, l’ouest à l’ouest et tout commence au sud-est. 
Les avenues vont du sud au nord et les rues de l’est à l’ouest : corner first avenue and first street au sud-est de Manhattan et ainsi de suite comme sur un damier.
Very Simple, I told you.

Fortes de ces informations, nous décidons, Rebecca et moi, de visiter ville et musées. C’est si simple. Pour se rendre au Guggenheim prendre la 5th avenue jusqu’à la 89th et le tour est joué.  En plus il neige, Central Park sera si blanc. Magnifique balade.

But….
En sortant du métro, écrasées sous tant de béton et autres matériaux de construction, nous ne pouvons trouver la route. Nous sommes sur la 89th mais ou est passé la 5th ? C’est ainsi que j’ai découvert la passion américaine pour l’orientation. En plus des panneaux indiquant avec flèches et couleurs le nom des rues à chaque coin, il y a aussi toute une panoplie étonnante de signs et autres indications sur la marche à suivre : To cross the street wait here, pour Madison passer par la 42th, don’t honk, ne rien jeter ici…. Si vous continuez à hésiter ou à slalomer, Il y aura toujours quelqu’un pour vous indiquer le bon chemin.

Nous sommes donc la tête en l’air en train de regarder tant de hauteur, quand 2 jeunes almost punk parfaitement similaires en tout point, nous indiquent le chemin : tout droit et à droite, une sorte de grand bâtiment blanc. Nous marchons, ils nous accompagnent du regard et au coin, ils s’assurent que nous prenons la bonne route. Impossible maintenant de nous égarer de nouveau à quelques rêveries. Nous sommes arrivées.

Continuons d’être efficace : billet, audioguide, sens de la visite, éteindre son téléphone, se laver les mains en sortant des toilettes, ne pas utiliser son cellphone : tout est écrit, tout est indiqué et les gardiens, présents tous les 10 mètres, sont là pour rappeler le strict règlement. Comment ne pas devenir un citoyen modèle avec tout ça.

En fait, tout avait déjà commencé à mon arrivée à l’aéroport. Mais j’étais alors trop fatiguée pour y prêter attention. J’y ai reçu une bonne quantité d’informations sur la meilleure façon de faire la queue et d’attendre mon tour au bon endroit avec les bons documents. Surtout au passage de la police des frontières. On ne rigole avec pas ça. J’avais bêtement oublié tout cet ordre juste.

Nous commençons l’ascension de la spirale et nous croisons des Picasso, des Dali et autres peintres européens. L’expo s’appelle Chaos et classicisme de l’entre-deux-guerres. Parfait pour nous, petites européennes perdues dans le grand NY. 

Arrivée au sommet, je tente l’impensable : prendre une photo de l’édifice. La réaction du gardien au clic clac est immédiate : « No picture, you have a sign over there » Mais oui, comment ai-je pu rater cet avertissement ? Il était juste sous mes yeux. Nous, les Européens, nous ne savons pas nous tenir, mais nous avons de bonnes photos.

Pour le déjeuner, après le Guggenheim et en attendant la séance du vieux film américain à voir au MOMA, nous dégustons un Hamburger dans un restaurant certifié OK par le service d’hygiène (indication en clair sur la porte). Le hamburger fait 1044 calories, mais si on ajoute une double ration de frites c’est 350 calories de plus. Face au grand panneau indiquant les gestes qui sauvent en cas d’arrêt cardiaque, je me décide pour la double portion. Une douce culpabilité me prend. Aux toilettes, j’apprends que les employés doivent se laver les mains après avoir utilisé le lieu et que l’eau contient moins de 5% de javel. 
Chouette, l’endroit est propre. Tout cela est bien rassurant.

Pour le reste de la journée je tombe amoureuse du MOMA et de sa boutique. Nous y entrons à 13h30 pour le film et nous en sortons à 20h après avoir tant de belles choses dont le fauteuil rouge et gonflable designé par le père de Rebecca himself !

A 20h je suis si crevée qu’un taxi me ramène at home depuis la 5th avenue, 54th, 53th….42th…14th tourné à droite prendre le pont de Williamsburg et tout droit sur 2 blocks. So simple ! Et pour le reste…. c’est simple aussi. Il suffit de suivre les règles. Tout est écrit, partout. Pas moyen de se perdre. Personne n’est laissé derrière. La marche à suivre est facile. L’orientation est aisée. Alors pourquoi ai-je l’impression que je vais tout de même, parfois, avoir besoin de retrouver mon libre arbitre ? 

Demain je serai avec Nicky, 20 ans plus tard !!!
Mais ça sera une autre histoire

Jour 3 : retrouvailles sur Time Square

Aujourd’hui les choses ont commencé downstairs, avec un chat.
Nous sortions du building avec Rebecca pour aller prendre notre petit-déjeuner quand des miaulements qui nous étaient clairement adressés, nous ont immobilisées. Il était là, derrière des barreaux, braillant toute bouche ouverte, sale, très sale, maigre et apeuré.  Alors évidemment, il est monté à la maison et nous l’avons nourri et installé.

Du coup, je suis en retard et Nicky en avance. Le chauffeur de bus était crazy, m’explique t-elle. Il conduisait trop vite et en plus il voulait dîner avec elle. Il faut me dépêcher de prendre le métro pour la rejoindre au coin de 7th&33th dans un T-mobile où elle charge son téléphone portable. Je m’égare dans le métro. Malgré tous les panneaux et indications, je suis sans arrêt distraite par des nouveautés à découvrir.

Je finis par la retrouver. Elle est belle. Elle est fun. Elle est calme. C’est Nicky. Nous nous serrons dans les bras et nous marchons. Peu importe la direction, nous sommes de nouveau ensemble. Nous nous arrêtons sous l’Empire State building au coin 5th&33th dans un Starbuck. Nous échangeons 4h de temps. Ma mère appelle et parle à Nicky. Je les regarde et j’ai les larmes aux yeux.

Nicky a des soucis avec sa plus grande fille qui est une adolescente remuante avec de mauvaises attitudes. Elle a aussi un nouveau petit copain plus jeune mais terriblement amoureux et involved. C’est comme ça la famille. On se sépare pendant 20 ans et quand on se retrouve c’était hier : juste plus de choses à se dire, mais jamais besoin d’explications.

4h plus tard, nous sortons et rejoignons Time Square.
Évidemment c’est un choc. Comment peut-on emmagasiner autant d’informations dans un si petit coin du monde? Les Américains ont dû développer une partie de leurs cerveaux qui nous est encore inconnue.
Celle qui sert à zapper sans cesse et à capter des trucs sur des trucs sur des trucs sans se fatiguer. « Nous sommes vieilles ma vieille », me dit Nicky. Elle a peut-être raison ma grande sœur adoptive d’à peine 6 mois mon ainée.

Pour avoir la full expérience, nous allons manger chez Applebees : chaine parfaitement typique qui ressemble au fast food d’happy days.
Nous entrons et nous nous installons. Alors apparaît Michaël. Son arrivée mérite un ralenti sur image. Il est jeune, il est grand, il est mince, il est blond, il est bien coiffé et il est souriant. Il s’avance vers nous, décidé et souriant, affairé et souriant, efficace et souriant. Tout un coup, sans même que je m’en rende compte, tout s’accélère: «  Hello my name is Michael, How do you do ? I will be with you today, do you want to drink something, here is the menu, please let me know if you need something,I’ll come back to take the orders, please let know my manager if there is something wrong or if you are pleased with me. » … Malgré le flux d’informations, il a souri de bout en bout.

Il est devenu mon héros du jour. Plus que la vendeuse de jeans (18$ un 501 chez Levi’s), plus que le vendeur de bouffe pour chat, plus que le taximan qui me ramène à la maison. Ils ont vraiment le sens du service dans ce coin du monde trop chargé d’information.

Le chat nous attend sous le lit. Il a mangé. Il n’a rien souillé et quand je sors la caisse, il va faire pipi dedans. Il se laisse laver et ronronne beaucoup Il s’appellera good boy jusqu’à ce que je lui trouve une nouvelle maison. Ce petit coquin a dû courir la belle en chaleur et s’est égaré. Le désir sexuel, quelle galère parfois, même à NY on y perd son sens de l’orientation.

Jour 4 : Animal

Quel beau dimanche que celui que je viens de passer. Le temps était idéal pour aller au zoo.

J’ai laissé Good Boy (le chat toujours en recherche d’un foyer d’accueil) à ses croquettes pour profiter du ciel bleu et de ce qu’il y a en dessous.
Premier stop : le muséum d’histoire naturelle : 4 étages d’animaux empaillés et de squelettes impressionnants. J’ai révisé à fond : Phylogénie, création des vertébrés, dinosaures, naissance des homo en tout genre et des civilisations qui ont suivi. Il n’y a pas à dire, ils savent faire. C’est clair, simple, super bien sténographié. Ce muséum peut réconcilier n’importe qui avec les sciences de la vie.

Pour rejoindre le petit Zoo de Central Park depuis le musée, il faut le traverser. Ce que j’ai fait avec grand plaisir.  Soleil et reflets de soleil sur les buildings, le verglas, entre les arbres, jouant avec les écureuils. 1h30 de balade glaciale mais magnifique.

Le petit Zoo est charmant. Surtout la réchauffante salle tropicale : 25° et des oiseaux partout. Pour rentrer à la maison, j’ai descendu la crowded 5th avenue jusqu’en bas pour retrouver Rebecca et des amis.

Demain, c’est méga tourisme. Le planning est chargé. Il faut que je me repose.

Jour 5 : Rencontres New Yorkaises

Les new yorkais sont friendly. Surtout quand on ressemble à une touriste seule, perdue avec son accent français, so charming
Aujourd’hui j’étais en mode super touristique avec mes chaussures de marche, mon appareil photo sur le ventre et une amie parlant français.
C’est l’équipement parfait pour traverser le Brooklyn bridge, manger à Chinatown et prendre le ferry au couché du soleil pour Liberty Island.
Je me suis bien appliquée et j’ai pu tout faire avec beaucoup de sérieux. Vous verrez les photos en sont la preuve.

Chemin faisant, nous avons croisé des New Yorkais… friendly

Déjà hier soir, nous avions découvert 2 hommes bien sous tout rapport mais sans pantalon. Nous nous sommes intéressés à leur cas.
Il s’avère que, pour le Fun, 7000 Friendly New-Yorkais oublient de mettre leur pantalon 1 fois par an. Ils ont froid mais ils s’amusent, nous expliquent-ils. Je n’ose pas demander comment ils choisissent leurs caleçons ce jour-là, mais certainement avec beaucoup d’attention.

Ensuite, il y eu Anna, peut-être la fiancée du serveur Michaël. Tellement souriante, attentionnée et serviable. J’ai donné son nom à la caisse du Levi’s Store quand la caissière m’a demandé si quelqu’un m’avait aidé et si je souhaitais donner des points à une vendeuse. 

À la découverte du chat, nous avons échangé avec le voisin sur la marche à suivre pour take care of the cat.
Il m’a demandé où je vivais. 

  • « Paris », ai-je dit
  • « Ah! you are living in Italy », m’a t-il répondu  
    Friendly mais approximatif en géographie.

Au cœur de mon nouveau quartier super juif orthodoxe pas facile de trouver des amis mais le vendeur de beagle et de café de ce matin était plutôt sympa et curieux. Il connaissait mieux le reste du monde et à immédiatement reconnue mon magnifique accent. Moquerie, sourire, photo, échange d’e-mail.

Tariq from Pakistan qui m’a conduit dans son taxi sans amortisseur le long des quais qui mènent aux ferrys était le plus loquace. Il est single. Il aime les chats mais ne peut pas prendre Good Boy avec lui. Il a eu une belle histoire d’amour, mais la différence les a séparés. Dans la vie, il faut être respectueux, gentil et honnête. J’ajoute généreux, timidement… Il est d’accord.

Sur Liberty Island une sorte de bonbon rose avec poussette et mari muni de dents incroyablement blanches me demande si je peux les prendre en photos devant la statue. Ils vivent à NY depuis toujours mais c’est la première fois qu’ils viennent. Ils espèrent venir à Paris mais ils ont peur des grèves et de la saleté. Ah bon ?  Je tente de les rassurer, mais je ne suis pas très crédible. Il me demande alors si j’aime ma nation…. Oups, déjà la question intime ? Je plagie Brassens et répond que j’aime mon pays mais pas ma nation.

  • « Interesting », répondent-ils en souriant 

Oui, ils sont définitivement friendly.

Demain sera ma dernière chance pour trouver une maison à Good boy
Croisons les doigts.

Jour 6 : retour

Il fallait bien que ça arrive. Le voyage est terminé. Je reprends la route pour la maison ce soir. Mais avant de quitter la grosse pomme, il me reste quelques missions à accomplir : aller dire bonjour à l’océan atlantique Westside, trouver une maison à Good Boy, et envoyer mes cartes postales.

Avec mes compagnons travailleurs New Yorkais, je prends le métro à 8h30 pour me rendre vaillamment à Coney Iland. 1h42 de voyage étrange en métro aérien pour trouver l’océan. Je rêve de pouvoir faire ça à Paris : Prendre le métro et aller dire Hello à l’eau (Pardon!)
1h42 de voyage apportent pensées et rêveries. 
Est ce que vous savez pourquoi vous désirez quelque chose ? Parce que moi jamais. En revanche, la plupart du temps, je sais très bien ce que je ne veux pas. Je désire par élimination. Bizarre comme fonctionnement, non ?

C’est avec ces idées étranges sur l’ennui, le désir et l’amour (forcément, ça va avec) que j’arrive sur la plage. Alors j’ai compris pourquoi je voulais voir l’océan : il me rend heureuse. Raison bien simple en fait. Il est calme, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu aussi reposé. Il sent bon. Il est glacial. 

Je reste assise malgré le froid (il y a de la neige sur le sable, c’est la première fois que je vois ça) pendant presque 30min. Je regarde le cargo chargé de containers colorés partir doucement. Je respire. Je m’étire. Je profite. Et puis, comme toujours face à lui je dis un mot à Alexandre dont les cendres ont été répandues dans l’océan. Comme je n’ai pas pu lui dire au revoir je lui dit et redit à chaque occasion.

Mon père m’appelle avant chacun de ses départs en avion, en voiture. Sinon, il ne m’appelle jamais. Mais à chaque fois qu’il doit partir, il m’appelle pour me dire au revoir. Il a raison. Il est prudent. On ne sait jamais. Il vaut mieux prendre ses précautions et bien se préparer. Au moment voulu, nous serons déjà habitués.

Maintenant, il s’agit de caser Good Boy.  Et c’est encore plus difficile que je ne le pensais. Pour le coup, je n’avais pas pris mes précautions.
Personne n’en veut. Même pas le refuge pour animaux. Même pas les voisins. Même pas le logeur français de l’amie de Rebecca. Même pas le 311. Et surtout personne ne veut m’aider. C’est vrai après tout c’est mon problème. Après quelques larmes de déception, la solution vient d’un vieil Américain du sud et de la cave de sa boutique. Il cherche un chat pour les souris. Il sourit à Good Boy, le caresse et l’installe dans le sous-sol. Ce n’est pas la meilleure maison qu’il aurait pu avoir mais il sera mieux que dans la rue. Je l’ai trouvé au sortir d’une cave, il retourne dans une autre. Drôle de Karma que celui de Good Boy : vivre sans lumière.

Ensuite, je vais à la poste. Les cartes sont parties. Le taxi m’attend. Je serai à l’heure à l’aéroport. Demain je serai à la maison et c’est bien.

Cette dernière journée à New York me rappelle cette inscription sur un mur d’Avignon : échangerais réchauffement climatique contre chaleur humaine.

Sixième séjour

Au sortir de l’avion j’étais fatiguée et dans un assez mauvais mood. Le plaisir de me retrouver une nouvelle fois dans cette ville si enthousiasmante qu’est New-York n’arrivait pas et ça commençait à m’inquiétais. Allais-je y arriver ?

D’un coup, le doute me prit. N’est-ce pas la fois de trop? 
La fréquence, la routine de ces allers retours franco-américain avaient-ils eu raison de l’impression d’être ailleurs, en voyage?  Depuis 2011, date à laquelle j’avais revu Nicky justement à NY, j’en ai fait des va-et-vient avec la côte Est. 
Tant et si bien que je connais l’arrivée à JFK presque mieux que celle à Orly et que je guide les touristes perdus dans le si propre métro de DC. Chaque arrivée faisait battre mon cœur un peu différemment et la certitude d’être enfin loin de Paris m’ouvrait des possibles. Le voyage quoi !

Mais cette fois-ci, pas de sensation d’être ailleurs mais pas non plus d’impression de retrouvailles. Que faire alors ?

Malgré la fatigue de l’heure tardive, j’ai cherché quelque chose qui pourrait me rendre le plaisir du voyage même dans ce pays maintenant si familier. Heureusement j’ai trouvé ! Et dans le même temps, un chemin pour vous en faire un texte personnel et historique tout à la fois. Bien que les States (à prononcer en allongeant le aaaa) soient moins folkloriques que le Burkina Faso et bien moins saisissant que les paysages d’Islande. Espérons qu’il vous amuse un peu.

Me voilà donc au sortir de l’avion, à m’avancer vers les contrôles de police, entraînée par la foule, guidée par le personnel scandant des ordres à bout de leur voix aussi fortes que leur corpulence : les US Citizen d’un côté, les non US de l’autres. C’est alors que je les ai vus. C’était une nuée qui venait par vague successive. Tous identiques. Tous vêtus de noirs. Tous hautement chapeautés. Ils se tenaient par la main, par le bras, se soutenaient en s’engouffrant par groupes soudés dans la file US Citizen, leur passeport à la main, leurs Tsitsit tressées blanches dépassant de leur veste et leurs papillotes de leur kippa. Ils étaient si nombreux, si semblables, si proches les uns des autres et si absents à ceux qui les entouraient qu’on aurait dit des nuages sombres traversant la douane avec détachement. 

Une fois passé les contrôles, les presque 200 orthodoxes juifs se sont amoncelés autour du tapis bagages du vol de la Lufthansa en provenance de Frankfurt. Ils arrivaient donc d’Allemagne. Et alors, avec la surprise, le plaisir est revenu. Le monde est aussi petit que la grande histoire est complexe. Et moi, toute petite humaine, ça m’amuse.

L’histoire de l’immigration juive aux États-Unis est longue et comme pour les autres s’est construite par vagues successives
Avec près de 5 millions aux États-Unis, (2% de la population américaine et 38% de population mondiale) ce pays représente le second foyer mondial après Israël. C’est également la troisième religion après les protestants et les catholiques.

Les premiers juifs sont arrivés dès 1654 avec les premiers colons. Après tout, rappelons-le, les juifs sont finalement des citoyens du monde comme nous tous. Ils représentaient alors une minorité bien moins gênante que celle des catholiques face à l’armée de protestants tout juste arrivés d’Europe du nord. À l’entre-deux-guerres entre 1880 et 1924, les populations appauvries d’Europe de l’est immigrent massivement aux États-Unis et avec eux, près de 3,5 millions de juifs démunis fuyant les pogroms et les privations. Très pauvres, ces arrivants juifs ont travaillé dans le commerce, la confection ou les services, et se sont bien souvent regroupés à New York (qui accueille 40 % d’entre eux en 1920). Les générations suivantes s’investissent rapidement dans la politique, l’économie, le droit, les médias ou la culture. En 1924, un décret législatif limite strictement l’immigration. Ces lois conduisent les Juifs d’Europe à trouver porte close aux USA, malgré l’évident danger de mort pesant sur eux après l’arrivée des nazis au pouvoir. En 1939, 80 % des Américains étaient hostiles à toute immigration. Le pays va jusqu’à refuser l’accueil des 963 passagers du bateau Saint-Louis fuyant l’Europe, n’hésitant pas à les renvoyer à une mort quasi certaine (seulement 300 seront épargnés, grâce à la Grande-Bretagne). Aujourd’hui malgré un antisémitisme toujours présent et peut-être hérité d’un protestantisme un peu trop zélé, les populations juives sont plutôt bien intégrées quand elles le souhaitent. La preuve en est les taux galopants de mariages mixtes : ceux-ci ne concernaient que 10 % de la communauté avant 1960, mais touchaient déjà 60 % des juifs après 1990. Selon certaines études, les enfants issus de ces unions sont élevés en tant que Juifs dans moins de la moitié des cas.

Ceux qui attendaient leurs bagages n’ont possiblement pas l’intention de se perdre dans un mariage mixte. Et d’ailleurs où sont les femmes ? Il n’y en a pas une seule qui les accompagne. Elles sont restées au quartier, bien au chaud des bébés qu’elles font à la chaine. 

Plusieurs stations de métro plus tard, toujours escortée de près par la bande arrivée d’Allemagne, je descends à Marcy Av. en plein Brooklyn – Williamsburg sud pour découvrir que je vais séjourner exactement parmi ses voyageurs qui semblent se suffire à eux mêmes tant leur regard est intérieur. 

L’immeuble est une ancienne Factory en brique rouge, arrondie sur un côté. Des lofts réaménagés se succèdent dans une ambiance « Arty ».  La gentrification est à l’œuvre entre deux écoles juives et un commerce casher. Andrea, 30 ans, dentiste et photographe sous-marine d’art, me salue en français et me montre ma chambre d’un blanc terrifiant tant je perds de sang depuis ma sortie de l’avion. Mes règles sont arrivées quelques jours trop tôt et ont visiblement l’intention d’être très présentes ce mois-ci. Je dors comme je peux, épuisée du voyage et du décalage mais effrayée à l’idée de déposer une offrande rouge sur ce lit immaculé.

Mais c’est déjà le jour ! Il est 5h10 et je suis réveillée. Après cette nuit sans grand sommeil, je décide de préparer un petit déjeuner à la très pressée Andrea.  Elle l’avale et disparaît. Je ne la reverrai plus pendant 2 jours.

À 8h15 je suis dehors pour un café et une balade. Ce soir je vais à Broadway voir Chicago. Yeah !!!!. J’ai prévu une sieste anti Jetlag pour y être au top.

Mais d’un coup, alors que je suis au téléphone, la migraine me prend et, avec elle, un malaise. Me voilà sous un soleil magnifique, par 5°, dans une rue qui pourrait ressembler à celle des Vinaigriers ou de Kreutzberg, avec la tête qui tangue, les membres qui répondent mal, et une envie de vomir qui m’étreint. Je m’affole un peu, je tiens le mur, je me sens défaillir. Les New-yorkais pressés ne me remarquent pas. Ils vont d’un point à un autre, café à la main. Il se dégage d’eux une énergie calme. C’est un ballet de corps sur tempo allegro.
La rue n’est pas un lieu de vie sauf pour les sans-abri, les malades mentaux, les toxicos et les touristes en visite, alors ils passent devant moi sans me voir bien que je croise leur regard. Un banc au soleil m’accueille, juste devant la pizzéria chez Joes. Elle est tenue par des latinos souriants. Ce qui n’est pas étonnant. S’il y a un bien un truc dont les américains ne sont pas avares c’est de sourire et d’immigration sud-américains.

Me voilà donc assise par la force des choses, à faire semblant de bronzer, tout en espérant par chaque pore de ma peau de retrouver au plus vite l’usage entier de mes sens et de mon corps, quand arrive vers moi une sorte de patrouille, diffusant tracts et prêches. Ils sont étrangement vêtus de ce que je peux entrapercevoir avec ma vision parcelle de migraineuse. L’un d’entre eux s’approche. Ils portent des baskets à talons hauts, une jupe culotte qui remonte sur une splendide veste en fausse fourrure mi-rose mi-paillette. D’un coup, j’ai un doute, est-ce bien un homme? Il, elle, me tend un tract m’invitant à une soirée rooftop sur la question du genre. Je ne peux rien lire mais le remercie chaleureusement tout en prétextant mon mauvaise maîtrise de l’anglais. Lui et sa troupe de non genrés s’éloignent au milieu du flot des travailleurs venus chercher leur pitance de midi chez Joes. 
Ils sont nombreux et variés, nous seulement en genre mais aussi en origine ethnique. C’est dingue ce qu’ils sont à la fois différents et semblables. D’où qu’ils viennent, ils sont américains !

Au fil de l’histoire, le « rêve Américain » a incité des personnes à laisser derrière elles, maison, patrie et même souvent leur propre histoire pour construire en Amérique quelque chose de nouveau. L’immigration aux États-Unis a abouti à cette « Nation des Nations », selon la formule usitée par le président John F. Kennedy.  Par vague successive, d’abord l’Europe du nord, puis celle du sud, puis celle de l’est et maintenant l’Amérique du Sud, sans oublier le flux incessant des esclaves venus d’Afrique, les États-Unis se sont construits sur l’annihilation de la culture amérindienne par le remplacement d’une culture mixte venue d’Europe et aujourd’hui d’Amérique du sud. La question de la régulation de cette immigration qui pourtant encore plus qu’ailleurs est le fondement culturel et démographique de ce pays, est depuis la crise de 1929, une question sans cesse discutée et de plus en plus régulée.  Selon les données de 2017, les immigrants (foreign-born) constituent 14 % de la population états-unienne. En cumulant les immigrants proprement dits et leurs enfants nés aux États-Unis, cette population représente plus de 27 % de la population totale (11,06% en France). Depuis 1970, date à laquelle on ne comptait qu’une dizaine de millions d’immigrants aux États-Unis, ce nombre a été multiplié par cinq. Près de 19 % des 43 millions d’immigrants sont arrivés depuis 2010, 27 % entre 2000 et 2009 et 55 % avant 2000. Ce qui veut dire qu’en pourcentage, il y a moins d’immigrants aux États-Unis en 2017 qu’au recensement de 1890.

Rappelons à cette étape du récit que les États-Unis ce sont 325,7 millions d’habitants sur une superficie de 9 600 000 km2, ce qui en fait le quatrième pays le plus vaste sur Terre mais il est au 145e rang de densité de population. 64% sont blancs non hispaniques, 13% sont noirs non hispaniques et le reste sont globalement moitié hispanique et moitié asiatique. Il est divisé en 52 États indépendants avec des superficies, des densités de populations et des lois civiles variables.

Quel tourbillon de chiffres ! La tête m’en tourne! Ajouté à la migraine et au mouvement perpétuel de piétons pressés allant bosser, il m’est difficile d’y voir bien clair.  Mais ce que je sais déjà, c’est que les américains vont travailler pour gagner des dollars et une fois le labeur terminé, ils vont retrouver les leurs. Ceux à qui ils ressemblent. Ceux qui vivent les mêmes expériences : les membres de leurs communautés. En France, on n’aime pas ça. On les empêche, on les rompt. Mais aux États-Unis la base est :
1 – travail 
2 – identité communautaire
L’appartenance à telle ou telle communauté remplace l’identité du genre, de l’orientation sexuelle, de l’origine ethnique, de la religion. Du coup, on peut appartenir à la communauté des femmes noires homosexuelles, des juifs d’Europe de l’Est new-yorkais, des portoricains athées, des musulmans féministes, des WASP du sud, etc. ….
Et ainsi naquirent les lobbys. 

Finalement l’attente au soleil eu raison de ma migraine et je suis rentrée pour une bonne sieste pré Broadway.

À 19h pétante je suis sur Time Square, direction 49 street pour voir Chicago le musical. Quelle belle surprise, je suis au milieu et au premier rang ! Les yeux dans les yeux avec Charlotte d’Ambroise, la comédienne principale. Cette danseuse chanteuse qui porte les rides de son âge sur un corps de jeune fille, m’éblouit tout au long des 3h de spectacle. Broadway c’est magique ! Je suis si réjouie que j’ai manqué de me perdre dans le métro en rentrant. Je m’endors enfin dans mon grand lit blanc des étoiles dans les yeux mais pas à cause de la migraine.

Pendant deux jours, je me balade dans Williamsburg. Les visites touristes et les musées, je l’ai déjà fait. Et puis, ici tout coûte si cher. Alors qu’à DC les musées et les visites sont gratuits. J’en profiterai quand j’y serai.

Cette fois-ci j’ai envie de découvrir la ville comme si j’y vivais. Alors je vais de bars branchouilles en parc ensoleillé. Je retourne manger une pizza chez Joes (elles y sont délicieuses) et je m’assoie sur le banc au soleil pour regarder, comme au premier jour, les New-yorkais passer et parfois m’accoster par quelques sourires avenants et remarques personnelles. Ils sont friendly. Ils sont polis. Ils sont enthousiastes et pour 2 jours, c’est un bain d’énergie bien agréable.
Une nouvelle fois mon séjour au États-Unis m’interroge sur nos identités face à l’histoire, les migrations, nos expériences, nos genres, nos jobs.

Dans le vol retour, mon regard est tout aussi intérieur qu’un Cohen orthodoxe tant il médite sur ma place dans ce vaste monde et dans ma toute petite vie.

Les Juifs et leurs immigrations aux Etats-Unis.
https://www.la-croix.com/Religion/Judaisme/sont-juifs-americains-2018-10-29-1200979448
https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/refugees

Immigration
http://www.lefigaro.fr/international/2018/06/28/01003-20180628ARTFIG00371-l-immigration-aux-etats-unis-une-question-explosive-depuis-un-siecle.php

Cherry Blossom Japon et welcoming
https://frenchdistrict.com/washington-dc/articles/national-cherry-blossom-festival-cerisiers-printemps/